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L’entrée du XXe siècle dans l’in ation vue par un contemporain de la Grande Guerre
Bernard COURBIS
« Quoi qu’il en soit, par le jeu de ces deux forces (les embarras nanciers des gouvernements et l’in uence politique des débiteurs, le premier rôle revenant tantôt à l’une, tantôt à l’autre), le progrès de l’in ation a été incessant si l’on considère de longues périodes depuis l’invention de la monnaie au VIe siècle av. J.-C. Parfois l’étalon de valeur s’est déprécié spontanément ; à défaut, les dévaluations autoritaires ont accompli la même œuvre. Toutefois, il est facile à chaque moment d’oublier tout cela et de tenir la monnaie elle-même pour l’étalon absolu de la valeur, tant notre manière de l’employer dans la vie de tous les jours fait illusion. Quand, de surcroît, les événements réels d’un siècle entier n’ont pas dissipé de telles illusions, la moyenne des hommes considère ce qui a été la norme pendant trois générations comme partie intégrante du tissu social éternel. »
John Maynard Keynes, « A Tract on monetary reform » 1923 in Essays in persuasion, 1931. Trad. « Sur la monnaie et l’économie », éd. Payot, 1971.
Le texte qui suit complète un article publié dans les Cahiers de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent dans le numéro 122 de mai 2014. Il a aussi comme source principale des manuscrits de Sylvain Dumas, instituteur à Alboussière. Mais à la différence du premier article, ce n’est plus une simple reprise exhaustive des notes dans l’ordre chronologique mais un commentaire de passages choisis dans le document d’origine consacrés aux phénomènes économiques ; plus particulièrement à l’in ation et à la modi cation de la répartition des revenus, lors de la guerre de 14-18 et à son lendemain.
L’in ation, conçue comme une hausse des prix généralisée, forte et irréversible, dégradant le pouvoir d’achat de la monnaie, semble absente des notes de Sylvain Dumas ! Pourtant, le phénomène a bien déjà été observé et commenté, par exemple à la suite de la découverte de l’Amérique ou lors des guerres napoléoniennes, ou encore avec la Guerre de Sécession aux Etats-Unis. Mais ce phénomène est impensable pour un Européen, après un XIXe siècle marqué par la stabilité des prix. Ensuite, le terme « in ation » provient du langage des économistes : s’il est aujourd’hui courant, après les fortes poussées de hausse des prix du XXe siècle, il était inconnu du public en 1914. Cependant, les contemporains ont été fortement impressionnés par l’in ation inimaginable, générée par le choc de la guerre, et qui bouleverse « l’ordre des choses » pour ses contemporains. Ce phénomène, l’in ation, l’auteur le dénomme tout simplement « la vie chère ».
65 Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018