Page 68 - matp
P. 68
I. LA VIE CHERE ANNONCIATRICE DE L’INFLATION DU XXe SIECLE
Les notes manuscrites de Sylvain Dumas couvrent la guerre du 2 août 1914 au 15 avril 1918 ; elles s’interrompent, pour reprendre, le 11 novembre 1918, de manière plus espacée sur les années 1918 à 1920. L’expression « vie chère » apparaît dans ses notes le 17 juillet 1915 (« la vie se maintient chère ») et se retrouve vingt-deux fois sur trente pages de texte, particulièrement dans l’immédiat après-guerre (1).
I.1. La vie chère durant la guerre : une nouveauté pour le chroniqueur
En 1917 par exemple, le thème de la vie chère de- vient lancinant. « La vie chère va toujours en augmen- tant et des grèves éclatent de partout ; les grévistes réclament de 1 à 3 F par jour pour indemnité de vie chère... » (8 juin). « En attendant, la vie chère se main- tient ou plutôt augmente ; certains produits deviennent introuvables » (9 juillet). « Le public continue de s’en- tretenir de la vie chère ; certains produits augmentent d’une semaine à l’autre » (1er septembre). En 1918 on retrouve le thème : « La vie chère continue et même
augmente » (17 janvier). « La vie chère continue tou- jours de plus en plus ; depuis la mise en pratique de la carte de pain celui qui va en voyage, ou en visite, est obligé de porter son pain pour être sûr d’en avoir » (5 mars).
De ces citations, apparemment répétitives, il faut retenir trois points : 1/ La vie chère c’est l’accroissement des prix (dit Dp positif) dont l’auteur donne de nombreux exemples. La vie chère qui continue ou qui se maintient semble signi er que les prix restent à ce niveau, qu’il n’y a pas de retour à la « normale » par un Dp négatif. 2/ La vie chère qui augmente semble signi er que non seulement les prix ne retournent pas à leur niveau initial (Dp négatif) ni même ne restent à leur niveau élevé (Dp nul), mais qu’ils continuent de monter (nouveau Dp positif). C’est la situation, courante maintenant, pour nous qui sommes accoutumés à l’in ation, mais pas du tout normale pour l’observateur habitué à la stabilité des prix du XIXe siècle. 3/ On est aujourd’hui plutôt conduit à raisonner sur un taux d’in ation Dp/p. Ainsi considère-t-on que l’objectif de stabilité des prix (absence d’in ation) est un taux Dp/p faible, de l’ordre de 2%, situation sidérante pour Sylvain Dumas et ses contemporains.
vin
blé
sucre
lard châtaignes pommes
de terre haricots
un morceau de savon
eau de vie huile de colza un balai
1 hl 40 130 225 100 kg 30 75 150 1 kg 0,8 2,2 175 1 kg 1,5 11 633 100 kg 12 120 900 100 kg 7 50 614
1 kg 0,55 2,5 354 0,6 2,6 333
1 litre 1,6 12 650 1 litre 1,2 7,5 525 0,6 2,4 300
1 kg 0,75 8 966 100 7 32 357 1 sac 1,25 8 540 1 litre 0,2 0,45 125 1 kg 2,35 13 453 100 kg 100 460 360 1 kg 1,6 5 212 14 50 257
3,25 2,50 2,75 7,33
de cuisine pointes
tuilles creuses chaux
4,54 4,33
7,50 6,25 4
lait
beurre
porc gras veau sur pied un pantalon de velours
6,4 2,25 5,53 4,6 3,12 3,57
Prix en francs
Quantité 1914 1918 Hausses
en
Prix x par
avant la en % guerre décembre
10,00 7,14
10,66 4,57
1. Les textes transcrits des manuscrits sont en italiques. Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018
66