Page 85 - matp
P. 85
1 - Pour l’ensemble du département
- La Grande Guerre a accéléré le mouvement de dépeuplement de l’Ardèche. Les 14 300 Ardéchois morts pour la France (4,3 % de la population totale, véritable saignée humaine) viennent s’ajouter au mouvement d’exode rural qui, commencé dans la deuxième moitié du XIXe siècle (1861 : 388 529 habitants) se poursuit avec la guerre. De très nombreuses familles ne pourront pas se recueillir sur une tombe. Pour l’Ardèche 864 corps ont été of ciellement restitués à leurs familles.
- Le déséquilibre record des sexes pour la France en 1921 : 1 103 femmes pour 1 000 hommes est sans doute vrai aussi pour l’Ardèche, tout comme le vieillissement de la population. Pour l’ensemble du territoire national, le taux de fécondité passe de 1,99 enfant par femme en âge de procréer en 1913 à 1,21 en 1916 et 1,54 en 1918. Toutefois avec la n de la guerre, bien des femmes se retrouvent au foyer avec pour mission de repeupler la France.
« Ils pourront pas tous revenir, il en est mort un grand nombre, tu sais que maintenant pour se marier ça sera dif cile, mais si nous trouvons pas tant pis, on restera vieilles lles. Mais tout de même on se trouve heureuse de n’être pas mariée car on n’a pas le souci de son homme » (26).
2 - Une certaine af rmation de la place de la femme dans la sphère privée
« Des femmes s’arrêtent comme frappées avec l’air d’avoir dépassé une limite invisible et de s’élancer de l’autre côté de la vie » (27).
A leur retour de guerre, des poilus mariés ont trouvé du changement dans leurs familles. Leurs femmes, qui avant 1914, étaient dociles, à l’écoute des volontés et des désirs de leurs maris, ont pris l’habitude de décider. Un air de liberté, d’indépendance a souf é pour elles. Aussi parfois, incompréhensions, tensions sont au rendez-vous de ces retrouvailles après une si longue absence et ce d’autant plus que certains anciens soldats continuent à fréquenter les cafés, à se complaire dans les rencontres de camarades des tranchées alors que d’autres sont revenus marqués à jamais par ce qu’ils ont vécu au point d’être déconnectés de la vie qui les entoure. Aussi les tentatives de refondation du couple et de la famille avec les revenants ne sont pas faciles.
26. Correspondance de Mlle Augusta Eithon de Lamastre à Marie Coudurier, 9 mai 1915. 27. Colette, Les heures longues, 1917.
28. « Je suis été » est un occitanisme courant.
29. Correspondance de Jules Coudurier, 29 novembre 1915.
Des couples éclatent, le nombre de divorces est à la hausse.
3 - Et dans la vie publique ?
- Des avancées...
La femme a trouvé, avec la guerre, des moyens de s’exprimer, de s’affranchir de la tutelle masculine en exerçant des métiers jusqu’alors réservés aux hommes, en défendant leurs conditions de travail en déclenchant en particulier en 1917 et 1918 dans les moulinages en Ardèche des mouvements revendicatifs, des grèves.
Au printemps 1914 la CGT décide de créer une commission féminine qui verra le jour en 1922.
En 1920 les femmes obtiennent le droit de se syndi- quer sans autorisation du mari.
III - QUEL BILAN AU SORTIR DE LA GUERRE ?
La personnalité des Françaises est différente de celle qu’elles avaient avant la Grande Guerre.
La femme entend af rmer son indépendance, notamment à travers la façon de s’habiller. Ainsi va triompher l’allure garçonne. Il n’est plus question pour nombre de femmes de se laisser imposer par les hommes le choix des vêtements : exit le corset et cela dès les années 1910, corset qui emprisonnait et blessait le corps des femmes. Il est remplacé par le soutien- gorge et le porte-jarretelles.
Pourtant des poilus pensent encore pouvoir déci- der :
« Quand je suis était (28) te voir, ça m’a sauté aux yeux, tout de suite en te voyant si grosse, quand vraiment celui qui n’a pas l’habitude de te voir, il croirait bien que tu es en sainte (sic) mais heureusement que non et puis je sais bien que ma petite est bien sage et qu’elle ne s’amuse pas avec les autres, en n quand même tu devrais te serrer un peu, autrement tu vas devenir comme ta mère... Il est permis de bien se porter mais sans dépasser la limite... Fais-moi le plaisir de faire un peu taille ne et de porter ton corset » (29).
Les habits sont plus fonctionnels, les bras sont nus, la ceinture basse, les vestes cintrées, les jupes raccourcissent (1902 : 5 cm du sol, 1924 : 26 cm, 1926 : 40 cm), avec pour objectif de libérer le corps, de faciliter le mouvement, manifestation extérieure d’une certaine libéralisation des mœurs. La tendance est à l’allure sportive.
En 1892, une circulaire du ministère de l’Intérieur avait rappelé que le vêtement masculin n’est toléré pour les femmes « qu’aux ns de sport vélocipédique ».
83 Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018