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lait que les fabricants mégissiers devaient renvoyer les femmes des ateliers dès la paix conclue, or ces derniers rechignent à voir partir une main-d’œuvre formée, docile et bon marché (d’autant plus que les machines coûtent cher).
réglé depuis l’avant-guerre : ces derniers devaient uni- quement être chargés des tâches les plus dif ciles et les plus ingrates (comme sortir les peaux des pelains) or, à cause de la pénurie de main-d’œuvre durant la guerre, ils furent peu à peu formés à d’autres travaux demandant plus de quali cation. Aucun des deux par- tis ne voulant céder, la grève se poursuit jusqu’à la  n septembre. Le 17 septembre, l’ensemble de la corpo- ration se réunit au théâtre d’Annonay. Les mégissiers obtiennent une hausse de 25 centimes de l’heure, et que les femmes restent dans les ateliers à la seule condition qu’il n’y ait pas d’hommes au chômage (15). Cet ac- cord, en plus de modi er la hiérarchie ouvrière dans les ateliers a également fait voler en éclat l’unité du patro- nat mégissiers annonéens. En effet, quatre d’entre eux (dont Elie Briançon) cédèrent partiellement aux reven- dications des grévistes, obligeant ensuite l’ensemble des autres fabricants à faire de même (16).
Léorat abandonne même totalement le chevreau en 1923 et se consacre exclusivement à l’agneau.
En n, en 1923, à la suite d’une grève des mégissiers réclamant une hausse de salaire, la Chambre syndicale des fabricants mégissiers donne en réponse un aperçu de la situation de cette industrie et de sa perte de compétitivité face à la concurrence européenne, quatre ans après la  n de la guerre :
« Alors que le salaire de base de nos ouvriers est de 2,25 francs de l’heure et que vous demandez 2,50 francs, le salaire de base des ouvriers mégissiers de Grenoble n’est toujours que de 1,75 francs l’heure. La différence est considérable et cependant le coût de la vie est plus élevé à Grenoble qu’à Annonay. Dans les autres centres de mégisserie, même en Belgique et au Luxembourg, cette différence est encore plus grande et nous nous trouvons de ce fait dans des conditions très défavorables. Le résultat de cette différence s’est déjà fait sentir. Une enquête rapide vous permettra de vous rendre compte que beaucoup de lots de peaux qui ve- naient régulièrement à Annonay, sont maintenant mé- gissés à Grenoble, en Belgique ou même en Italie. Si ces différences de prix de revient doivent non seulement subsister mais s’aggraver encore, nous nous trouve- rons bientôt dans de telles conditions d’infériorité qu’il nous sera impossible de soutenir la concurrence avec les autres centres de mégisserie. Nous avons, de plus, à lutter avec la fabrication allemande qui, paralysée mo- mentanément, recommence grâce à la nouvelle baisse du mark, à exécuter les commandes américaines ».
La situation se tend de plus en plus avec l’arrivée des premiers démobilisés qui veulent retrouver leur emploi après plusieurs mois de combat. Le 13 août (14), l’ensemble des ouvriers de rivière des mégisse- ries annonéennes se mettent en grève et demandent une hausse des salaires et le renvoi des femmes, comme cela était stipulé dans l’accord de 1916. Ils sont rapidement rejoints par les ouvriers palissonneurs. Le 14 août, les femmes se sont présentées devant les entreprises pour prendre leur travail, mais les syndicats et les grévistes leur ont promis, en échange de leur soutien, qu’elles seraient indemnisées par le syndicat. A cela s’ajoute également le problème du statut des manœuvres, non
 1920-1923 : UN RETOUR DIFFICILE A UNE ECONOMIE DE PAIX
Les premières années qui suivent le retour à la paix semblent prometteuses pour les industriels de la peau. En effet, les mégissiers espèrent reconquérir leurs marchés d’Europe centrale et retrouver une production « normale » :
« L’avenir promis à la mégisserie semble devoir être prospère. La concurrence allemande, notamment celle du centre d’Aix-la-Chapelle sera malgré tout à redouter ; cependant il est vraisemblable que nos alliés et certains neutres se détournent du marché germanique et demanderont à la mégisserie française la satisfaction de leurs ordres commerciaux » (17).
Ils vont déchanter puisque, par exemple, ils ne pourront se fournir en farine de manière libre qu’à partir de l’été 1920. Concernant le climat social dans les ateliers, après la grève de 1919, on assiste à un retour de petits con its, comme avant-guerre, concernant les hausses des salaires et l’introduction de machines dans les ateliers (18). La production repart à la hausse. De 450 000 douzaines produites en 1918 elle passe à 724 000 douzaines en 1922 (+ 62%), soit 280 000 peaux de plus qu’en 1913. Mais cette embellie est de courte durée puisque dès 1923 la production chute de presqu’un tiers, se stabilisant alors jusqu’à la crise de 1929 entre 500 000 et 600 000 douzaines produites par an. En parallèle, le centre gantier grenoblois semble amorcer un déclin, le chevreau ne fait plus recette. Aussi dans ces premières années de la décennie 1920, de nombreux mégissiers vont chercher à se diversi er. En 1921, Briançon commence à travailler l’agneau,
 14. AD07, 10 M 83, grève des mégissiers annonéens, août et septembre 1919.
15. Elles sont également astreintes à des tâches bien particulières : « la femme ne sera pas employée à certains travaux tels que l’étendage des peaux et la conduite des machines à moins que la main-d’œuvre fasse défaut ».
16. En octobre 1919, Elie Briançon démissionne de la Chambre syndicale des fabricants mégissiers. 17. AD07, 53 J 11, notes sur l’industrie en Ardèche, 1918.
18. Grève à la mégisserie Souchon contre l’installation de machines, 1920.
91 Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018




















































































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