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En tannerie la situation est différente. Assez rapide- ment les tanneurs essaient de retrouver leurs marchés d’avant-guerre. Cela est aisé pour Meyzonnier et Com- be qui gagnent des marchés en Amérique et en Europe centrale. En revanche, la situation internationale ayant beaucoup changé, la tannerie Franc se retrouve en dif- culté. En effet, cette dernière travaillait beaucoup avant-guerre pour l’industrie du luxe, et exportait de nombreuses peaux dans le monde entier et notamment en Russie. Or après la Révolution d’octobre, ce marché se trouve fermé. Dès lors, Franc va poursuivre sa fabri- cation de box-calf (imposé par les demandes de l’Inten- dance durant la guerre) et va se trouver mis en concur- rence directe avec ses voisins Combe et Meyzonnier.
En parallèle, ces entreprises réduisent leurs effectifs, puisque le nombre de tanneurs annonéens passe de 1 270 en 1918 à 950 trois ans plus tard. Les femmes sont les plus touchées par ces renvois ; par exemple chez Franc leur nombre passe de 89 à 11 entre 1918 et 1923, et leur part dans l’entreprise de 40% à 8%.
En n, durant l’été 1923, une grève mobilise durant plusieurs semaines les tanneurs et mégissiers de la ville. Demandant une hausse de salaire, les ouvriers des tanneries Meyzonnier, Franc et Dupuy se mettent en grève le 29 juin 1923. Le con it se durcit rapidement devant le refus de négocier de la direction, et début juillet des secours sont mis en place par le syndicat général des cuirs et peaux pour aider les ouvriers grévistes. Mais dès le mois d’août, les tensions se
Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018
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Femmes employées au rognage en mégisserie
propagent dans certaines mégisseries où des femmes d’ouvriers tanneurs non-grévistes sont prises à parti. Fin septembre 1923, des accords sont trouvés par entreprise, mais le con it a surtout permis pour la première fois, la mise en place d’une union syndicale chez les ouvriers tanneurs et mégissiers.
Ainsi, il apparaît que la Première Guerre mondiale bouleversa les pratiques sociales, l’organisation indus- trielle et économiques du secteur des cuirs et peaux annonéens. L’union, tant recherchée, entre ouvriers tanneurs et mégissiers se fait dans l’immédiat après- guerre, mais cette victoire ne peut masquer deux échecs cuisants pour le syndicat des mégissiers : l’entrée dé- nitive des femmes dans les ateliers et l’achat de plus en plus important de machines par les fabricants mégis- siers. Après une embellie de quelques mois, les fabri- cants mégissiers perdent de nombreux marchés face à une concurrence internationale de plus en plus ef cace et compétitive ; certains décident de réorienter leur pro- duction vers un article en vogue, l’agneau. En tannerie la situation est meilleure. Les besoins de l’armée font croître la production et le personnel jusqu’aux derniers jours de la guerre. Lors du retour à la paix, ces entrepri- ses retrouvent leurs anciens marchés, y ajoutant même de nouveaux en Europe centrale et aux Etats-Unis. La décennie 1920 va voir la stabilisation des mégisseries annonéennes et l’essor des tanneries annonéennes, no- tamment Meyzonnier qui, juste avant la crise de 1929, réalisera 75% de son chiffre d’affaires à l’exportation.