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Marcel Otte
l’apparitiOn
du phénOMène religieux
u sens strict, il n’existe pas de religion sans dieu.
Le concept de « religion » a en effet été créé à une
A époque historique récente, où toutes forces méta-
physiques étaient conçues comme des personnes aux compor-
tements analogues à ceux des hommes. Ces religions ont donc
institué un rapport entre les dieux et les hommes, et non un
rapport entre les hommes eux-mêmes, comme on a parfois ten-
dance à le croire. Pourtant, l’immense majorité des populations
humaines ne possèdent pas cette personnalisation des forces
mystiques : elles les organisent plutôt en mythologies, où des
récits fondateurs expliquent le passé, justifient le présent et
dictent les valeurs à respecter. Non seulement, ces systèmes
mythologiques sont de fonctionnement universel aujourd’hui
dans les régions restées « sauvages », mais aussi ils furent de
tout temps la caractéristique de la conscience humaine, afin 64
de consolider la solidarité collective par un référent ultime et
partagé.
La notion classique de « religion » correspond donc non
seulement à une nécessité fondamentale de toutes humanités
(il serait illusoire et dangereux de l’ignorer), mais elle s’ap-
plique uniquement à des sociétés particulières, là où les dieux
existent, analogues aux hommes. C’est-à-dire dans les sociétés
productrices qui assument leur propre destin, autant spirituel
qu’alimentaire. Symétriquement, la notion de spiritualité et de
mythologie est si bien ancrée dans l’esprit humain qu’elle en
est « consubstantielle » : la conscience fabrique du divin afin de
subsister, sans sombrer dans la folie et chaos. Et si notre civi-
lisation croit pouvoir se dispenser d’un tel support métaphy-
sique, cela indique simplement qu’elle en sous-estime la puis-
sance : d’autres valeurs ont alors pris la place des structures
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