Page 67 - Revue 3 A_Neat
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L’apparition du phénomène reLigieux
sa vie, au nom de la société des spectateurs incarnant l’huma-
nité entière. À peine laïcisées, ces cérémonies sont celles que
l’on voit illustrées de Çatal Hüyük (Anatolie, VII millénaire) à
e
Cnossos (Crète, II millénaire), et se trouvent infiniment répé-
e
tées via les mythologies et les jeux de symboles qui circulent
durant toute la protohistoire, puis l’histoire écrite. L’homme
fait face aux rapaces, félins, serpents, taureaux, toutes espèces
restées ou entretenues « sauvages ». L’emprise sur la vie, garan-
tie par l’image de ces symboles, confirme et prolonge celle
acquise quotidiennement par l’esprit. Dans ce défi, les forces
spirituelles ne peuvent posséder que des aspects humains : les
dieux sont nés !
La connaissance à l’assaut de l’inaccessible
Toute société humaine se réfère à un système métaphy-
sique où se concentrent les explications du réel ; en ce sens, la
science en a aujourd’hui repris les fonctions. Dans les sociétés
prédatrices, celles des chasseurs-cueilleurs qui ont régné pen-
dant l’essentiel de la préhistoire humaine, la pensée mythique
est omniprésente, elle imprègne tous gestes et toutes activi-
tés. C’est pourquoi la notion de « religion » n’a guère de sens à
cette époque : elle n’y est pas désolidarisée des autres activités
humaines, comme elle le sera plus tard au néolithique, où elle 66
se trouve déléguée aux prêtres, aux temples et aux fidèles. Par
son extrême universalité, on peut dire que la pensée mythique
(ou cette forme de religiosité) est consubstantielle à l’esprit
humain, considéré dans son fonctionnement social. Comme la
parole ou l’outil, l’humanité n’existe pas sans elle. Notre pen-
sée fonctionne en effet sur cette dualité constante : la connais-
sance par laquelle la volonté s’affirme et, en miroir, se défi-
nit l’inconnaissable, réservé au seul domaine du sacré. L’axe
principal au fil duquel fut balancée l’évolution humaine est en
permanence constitué par cette opposition, la part du sacré
perdant progressivement de l’ampleur sans jamais disparaître.
Dès la plus ancienne préhistoire, cette audace et ce conflit
surgissent : l’esprit se dégage de l’emprise matérielle, par
l’emploi de l’outil, l’élaboration de la chasse, la maîtrise du
feu, l’expansion à de nouveaux territoires auxquels sa biolo-
gie ne l’autorisait pas. À chaque fois, il s’agit de défier des lois
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