Page 40 - Lux in Nocte 3
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Fait rare dans l’histoire de la littérature, celui qui est aujourd’hui le plus connu, voire
le plus grand, écrivain portugais du 20 siècle, a écrit sous une multitude de noms
ème
de plume différents (Plus de 70).
Quatre resteront véritablement célèbres : Alberto CAEIRO ; Ricardo REIS ; Alvaro
de CAMPOS et Bernardo SOARES.
Ces hétéronymes (car ils possèdent chacun une vie propre imaginaire et surtout un style
littéraire unique qui les définit) permettront à Pessoa d’écrire dans différents styles
plusieurs voies littéraires aussi singulières que variées, allant de la poésie, la prose, la
critique, le guide de voyage, etc.
Cela détermine le côté exceptionnel de Fernando Pessoa qui aura poussé jusqu’à
l’extrême sa vision de la « production » littéraire en créant les auteurs de ses écrits
(allant jusqu’à leur inventer une biographie détaillée) et pas seulement ses
personnages comme la plupart de ses confrères. Une fragmentation qui permettra à
Pessoa de « vivre » des incarnations d’auteurs aussi hétéroclites qu’originales.
Ainsi, Fernando Pessoa possède cette singularité qui consiste à CRÉER un auteur,
un double ayant la capacité nécessaire – parce que doté d’une sensibilité autre - à la
création artistique chaque fois unique et différente.
Toute sa vie, l’auteur discret ne cessera d’écrire, le soir, après le bureau, et jusque tard
dans la nuit. Pourtant, il ne sera publié – de son vivant – que dans quelques rares
revues littéraires, à l’exception de son recueil de poèmes « Messagem », qui sera
publié seulement un an avant sa mort.
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Ce n’est qu’après sa mort, que l’on découvrira 27543 textes enfouis dans une malle.
Tous ses manuscrits seront « récupérés » par la Bibliothèque nationale de Lisbonne.
De tous ses écrits, le « Livre de l’intranquillité », publié en 1982, rédigé sous
l’hétéronyme de Bernardo Soares, est pour moi le plus étonnant. Sous ce nom, il
écrit en prose somptueuse ses pensées les plus profondes, parfois teintées d’un
certain désespoir mais aussi d’une grande lucidité. Soares est l’alter-égo dépressif,
vivant à Lisbonne (reflétant les véritables tendances dépressives de Pessoa) à travers
une approche existentialiste.
Ainsi, cet énigmatique poète portugais, qui cachait son talent derrière la silhouette
d’un modeste employé de bureau à lunettes rondes, nœud papillon, chapeau et
costume sombre, aura laissé une œuvre et une façon d’appréhender la littérature, dont
on débat encore aujourd’hui.