Page 43 - Lux in Nocte 3
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Le promeneur et son chien
Vivianne Melh
« Aujourd’hui nous ferons la boucle dans l’autre sens, qu’en penses-tu ? » Le promeneur
s’adresse à son chien qui paraît désorienté. Il hésite au bout de sa laisse, ses pas le
guidant vers le petit chemin herbu, mais il sent la main ferme de son maître l’entraîner 42
dans une autre direction. Le décor semble inconnu. Il ne reconnaît pas son trajet et voit
d’autres lieux. Au bout du chemin qui longe les maisons neuves, encore une bifurcation
qui laisse le chien pantois et indécis. Devant eux, s’étirent de grandes surfaces cultivées.
Le premier champ est à peine semé et sur sa surface brune se détachent de petites
formes claires. « Tiens, dit le promeneur, tu vois les jeannot-lapins au loin, ils sont
deux ». En effet, de petites taches brun clair sautillent et entrent précipitamment sous les
hautes tiges du colza contigu. Le corbeau qui les accompagnait s’enfuit doucement,
dérangé par la présence des visiteurs. A l’autre extrémité de ce champ, deux autres lapins
confondus dans la couleur ocrée de la terre, se mettent à courir pour se mettre à couvert.
Décidément, c’est l’heure des lapins ! C’est aussi le fait de marcher dos au soleil levant
qui permet de les remarquer dans le lointain. Hier, on ne les voyait pas. Le soleil est
matinal, il arrive en oblique et projette les ombres du promeneur et de son chien au
milieu de la route. Le reste du paysage est nimbé de gris perle, d’où émergent les ombres
des bâtisses et des arbres. C’est un joli spectacle qui émerveille l’homme pourtant habitué
à vivre là. Le bonheur serait complet sans le bruit intermittent des voitures sur la grand’
route. Mais l’atmosphère brumeuse atténue ce désagrément. La vie moderne se signale
ainsi. De temps à autre, le chant du coq au loin retentit et apporte sa note de pittoresque.