Page 14 - Eléments Post Replica - Théâtre Louis Calaferte Tarabuste_Classical
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dans ces entretiens, ce qui distingue le théâtre baroque de son Jean-Pierre Pauty définit, deux pages plus loin, le caractère baroque
sous-genre rival n’est plus l’opposition entre deux univers, ou entre du théâtre de Calaferte dans son opposition avec la dramaturgie
deux conceptions de l’univers, mais une opposition de ton: le théâtre classique : « on trouve dans son œuvre des pièces baroques défiant la
baroque est présenté comme un théâtre plus dérisoire, dont le dramaturgie classique». On gagera à coup sûr que les deux metteurs
discours est « anarchisant » et dont la portée cathartique est diffé- en scène n’accolent certainement pas le même contenu à ce terme
rente. La distinction entre les deux sous-genres révélée par ces deux de baroque que la critique littéraire a déjà assez de mal à définir et
discours différents est quoi qu’il en soit perturbée par un discours sur lequel Calaferte lui-même ne s’est pas, contrairement à ce qu’il
antérieur, celui tenu en 1988 à l’auteur-éditeur Pierre drachline : disait en présentant ses pièces «baroques», «suffisamment expliqué »,
en tout cas pas pour nous.
P.D.:Vos pièces sont très rapides. C’est la partie de ping-pong.
L.C. : C’est ça. Oui… et il y a un côté baroque, aussi.
[…] il y a aussi chez moi un petit côté baroque, un peu
fou… et poétique. tout ça relève, en fait, de la poésie. Ça QUESTIONS DE FAMILLE
aboutit, par exemple, au spectacle dont je viens de vous Puisque les affaires de genre sont des affaires de famille, on peut
parler. Cela s’appelle Un riche, trois pauvres. Ce n’est pas déjà tenter d’interroger l’air de famille du théâtre baroque de
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une pièce, c’est un spectacle. un spectacle baroque .
Calaferte, en le confrontant à ses cousins supposés. il en existe au
existent ainsi, de la part même de son auteur, deux discours moins deux: la première famille, qui nous est soufflée par le metteur
contradictoires visant le théâtre de Calaferte: 1. il existe deux genres en scène Jean-Pierre Pauty, est celle du théâtre développé il y a trois
de pièces, les pièces «intimistes» et les pièces «baroques», et la diffé- siècles dans l’ombre de la dramaturgie classique; la seconde est celle
rence entre ces deux genres tient à l’univers des pièces — à moins instaurée par un contemporain français de Calaferte.
qu’il s’agisse de leur ton; 2. tout le théâtre de Calaferte est un théâtre
baroque. On glosera rapidement la distinction opérée par Calaferte Dramaturgie classique
entre pièce et spectacle (« Ce n’est pas une pièce, c’est un spectacle»): Jean-Pierre Pauty propose de définir le baroque de Calaferte en
Un riche, trois pauvres est une succession de sketches très brefs — fonction de son opposition d’avec le théâtre classique : il est vrai
qui s’oppose à la pièce traditionnelle par son manque d’unité narra- que cette proposition correspond à la raison d’être même d’une caté-
tive — mais également un spectacle pluridisciplinaire « avec clown, gorie «baroque » dans l’histoire du théâtre, et que c’est en raison de
musique et marionnettes ». en 1988, Calaferte associe l’adjectif cette absence de conformité aux normes classiques à l’époque même
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baroque à ce qui n’est pas conventionnel: «un peu fou», «poétique», du classicisme régnant que la critique littéraire a eu recours à la caté-
« pas une pièce ». gorie baroque. Le baroque est en effet, à la lettre, l’irrégularité et ce
qui, comparé à la norme et au goût classique, ne peut être, à la lettre
Cette notion de baroque a été glosée à la suite de Calaferte par que de l’extravagance, c’est-à-dire du vagabondage hors du chemin
des proches de l’auteur, sans que l’équivoque sur le sens du terme tracé.
soit vraiment levée, sans même que soit tranchée l’alternative : est- à considérer seulement ce qui de l’esthétique classique peut faire
ce tout le théâtre de Calaferte qui est baroque, ou seulement 15 de encore sens à notre époque — c’est-à-dire si on délaisse la question
ses 26 pièces ? C’est ainsi qu’à l’occasion de l’entretien du metteur du degré d’élévation des personnages et de leurs actions ainsi que
en scène Jean-Pierre Pauty avec la comédienne Sylvie favre et le celle des convenances —, force est d’admettre que parler de drama-
metteur en scène Victor Viala en décembre 1995, Victor Viala affirme turgie classique à propos de pièces en un acte dont l’action est
14 que «tout le théâtre de Louis Calaferte est baroque» sans plus de préci- continue n’a en fait guère de sens. des pièces en un acte dont l’ac- 15
sion — comme si un tel qualificatif était évident —, tandis que tion est continue, et le nombre de personnages limité (entre 1 et 4):