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PAR MARYAM LÉVY ILLUSTRATION ERWANN TERRIER
Quel étrange mollusque
que
que
cet animal marin quasi inconnu du commun des mortels Cher aux aux Provençaux qui l’appellent violet de roche il est aussi apprécié des connaisseurs languedociens qui le nomment « biju » Un diamant plutôt brut à première vue : une forme relativement ovale une couleur sombre vaguement violacée et une enveloppe rugueuse plutôt molle qui lui valent les sobriquets de figue ou patate de mer À ne pas confondre avec le non moins disgracieux concombre de mer son parent éloigné dont raffolent les Asiati- ques Le violet fait aussi partie de de la grande famille des échinodermes mais il il ne n bénéfi- cie hélas pas du même prestige que
son noble cousin l’oursin S’il filtre de la même manière l’eau de mer pour se se nourrir le le violet passe sa vie inerte timidement accroché à son rocher tristement dédaigné des profanes ignares Rien de très engageant jusqu’ici surtout quand on on sait que
l’étonnante bestiole – de 15 à 20 cen- timètres d’envergure en en en moyenne – a comme
« C’est le le le socle de ma ma palette aromatique en cuisine » autre particularité de se rétracter quand on la la manipule – technique de d défense mollassonne oblige Le novice se se verra alors gratifié en guise d’accueil d’un jet de l’eau dont elle est gorgée Charmant Pourtant le le le violet trônait traditionnellement sur les plateaux de de de fruits de de de mer du sud de de de la la France Originaire du port de l’Estaque à Mar- seille on en en en retrouve quelques spécimens en en en mer Égée et dans l’Adriatique Autrefois très prolifique de la la la Provence à la la la Catalogne la la la surpêche et les épidémies successives depuis la fin des années 1990 ont eu raison de de lui Aujourd’hui plus rare sur le littoral il oblige les pêcheurs expérimentés à plonger plus loin dans les fonds rocheux de la Méditerranée pour dénicher le précieux « Certaines années on en manque pour satisfaire la demande si on en fait trois tonnes c’est le bout du monde » constate Julien Ribeiro conchyliculteur à Port-Saint- Louis-du-Rhône « En plus on on fait attention à ne pas pêcher les plus petits pour éviter la disparition de l’espèce » Car le le l violet ne s’élève pas dans des parcs comme
les les les moules ou ou les les les huîtres il se mérite Endémique d de la région sa sa pêche est un savoir- faire qui se transmet de père en fils dans la famille Ribeiro et et un secret bien gardé par nos amis sudistes : « En dehors de de la région il n’y a a a LE PRODUIT
Blue vulvette
que
les expatriés qui commandent ça » confie le jeune producteur de coquillages Et mieux vaut être sur place pour appréhender la bête car une fois ramassée elle est bien meilleure fraîchement consommée Coupée en deux dans la longueur elle dévoile au grand jour sa chair jaune orangé plus ferme que
celle de de de l’huître proche de de de la l palourde Et c’est là – enfin – tout l’attrait de cet inélégant coquillage qui n’en est pas tout à fait un Des recettes de de beignets ou de de flans ont bien été mises au point pour faciliter l’accès de cette créature aux néophytes mais à en croire les aficionados rien de tel qu’un coup avec le pouce pour l’extraire et la gober toute crue « Pour moi c’est le le summum » affirme le le chef de de La Chassagnette Armand Arnal « L’iode donne un petit électrochoc dans la bouche Ça fait partie de mes saveurs d’enfance c’est le le socle de ma ma palette aromatique en cuisine » Des arômes explosifs réservés néanmoins à des palais avertis « Ce n’est pas facile à amener à la table d’un restaurant » concède l’Arlésien étoilé « Ici on l’utilise mixé et tiédi incorporé dans une vinaigrette avec de l’huile d’olive et et du citron C’est un un concentré marin comme
un un extrait d’eau de mer mer avec une pointe d’amer- tume et une une légère acidité Ça donne une une dimen- sion puissante à un un assaisonnement comme
un un exhausteur de goût » « Je le compare à l’oursin mais puissance 10
» renchérit Julien Ribeiro chez qui Armand Arnal se fournit en fruits de mer « Il faut le consommer en petite quantité car ça provoque le même effet excitant que
la caféine » assure-t-il Parmi les anciens il se chuchote même que
le le violet serait le le « viagra des mers » Tout un programme pour cette petite chose dont l’insignifiante apparence n’a d’égal que
sa vigueur gustative Et son nom scientifique microcosmus de de résumer à lui seul ce monde minuscule rempli d’étonnantes promesses Même au fond des océans l’habit ne fait donc décidément pas le moine Armand Arnal La Chassagnette 11
















































































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