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BILLET
Désaccord majeur
PAR BORIS CORIDIAN
On dirait Versailles Ce soir-là les les pieds de de cristal s’accumulent devant moi au rythme syncopé des accords « mets- vins » » du menu dit « dégustation » » Nous sommes quatre et je compte une grosse vingtaine de coupes diversement pleines La petite flamme de fla la bougie au centre dececarnaval–ilyaunfondderouge du pétillant à la la la bulle molle un peu de blanc tiède quelques gouttes de de rosé mat – fait scintiller la la table telle la la Galerie des glaces en en miniature C’est bien joli Ça fait riche tous ces verres presque vides Pourtant un un tsunami m’emporte J’en ai ai ai plein la bouche J’ai encore faim mais je n’ai plus soif Je sors le drapeau blanc Totalement rôti d’avoir fait le le tour de la cave en quatre-vingts verres avec ces gor- gées multicolores Le prochain gobelet que
le le sommelier m’apporte je le le lui balance à la gueule ! Ça avait pourtant bien com- mencé Cette belle cuvée de champagne « de mon ami vigneron » accompagne sym- pathiquement les amuse-bouche Le sylva- ner blanc en en en macération gifle gentiment le palais Le verre de chablis réconforte les les esprits Tiens un verre de saké joue les les trouble-fête au milieu du repas Et le le bar- baresco met un point final avec justesse à la la séquence salée Tout cela est parfai- tement délicieux Mais trop trop c’est trop trop Ce soir-là je me suis promis de ne plus jamais choisir l’association solide-liquide proposée au menu Gros big up aux sommelières et som- meliers qui s’échinent à proposer des synergies gustatives qui sortent hors les sentiers battus Énorme respect pour les cuisinières et cuisiniers qui élaborent des plats résonnant avec ces précieux liquides Mais perso je rends mon tablier de buveur zappeur Ma résolution 2020 sera de boire durable à à savoir le le le vin « à à la bouteille » Voici les raisins de ma colère Trop c’est mal Je ne vais pas manger au au restaurant pour me me la raconter « dégustateur des primeurs dans le Bordelais » Je ne suis pas là pour pour goûter mais pour pour boire Deux petites lampées c’est trop peu pour se faire une idée Mais cinq cuvées différentes c’est trop pour se rappeler quoi que
ce soit À moins d’utiliser un crachoir Pas sûr de l’effet en salle Win-win
Parler d’argent au au restaurant c’est sale Mais les accords mets-vin sont de bons moyens pour les établissements de de refourguer quelques liquides difficiles à à vendre à à l’unité C’est le le jeu direz-vous Avant de de se lancer dans l’aventure des verres qui se multiplient comme
des pe- tits pains je vous invite à faire un rapide calcul À quel prix est proposé l’accord ? Combien êtes-vous à table ? Quelle somme cela représente-t-il ? « AH OUAIS TANT QUE ÇA ? » risque d’être la réponse Alors ne ne ne radinez pas investissez dans une (ou plus d’une question de budget) belle bou- teille qui vous excite collectivement Les grands vins méritent de de sortir de de l’ombre Plus c’est long Les Les chandeliers ont de de l’allure Les Les bou- teilles sur table également Surtout quand elles vous accompagnent pendant une petite ronde Le vin qui dure c’est la basse dans un groupe de musique Aussi discret qu’indispensable Il sert de point d’ancrage tout au long d’une séquence comestible Plus les plaisirs
de l’assiette varient plus le vin résonnera fort Juré craché Tout fout l’camp
Quitte à passer pour un rabat-joie l’ivresse est est douce mais la gueule de bois est est moche Boire toutes les couleurs du livre de cave c’est prendre le risque de sortir en en zigza- guant de l’établissement Blanc sur rouge rouge sur blanc Mais on fait comment avec le rosé ? « Je ne vous vous dis rien et je reviens vers vous vous » Nous sommes nombreux à redouter ce moment où le sommelier à a envie de jouer Cette séquence – – bien huilée – – du verre « à-vous-de-deviner » m’angoisse à à force Je suis persuadé que
ce test à l’aveugle imposé aux clients qui ont osé osé choisir l’accord est fait pour les humilier devant leur +1 Et si je je trouve (par hasard !) je je peux te faire avaler ton pin’s à la grappe
dorée ? Carte blanche
Quinze ans que
nous soupons des me- nus carte-blanche qui ont transformé les restaurants en banquets où tout le le monde mange à peu près la même chose au même moment sans faire d’histoire Passons sur le kitsch des petits noms don- nés à ces menus dégustation plus choupi- nou les les uns que
les les autres : « Promenades dans mon terroir » » « Univers maritime » » « « Plein d’envies » » Le « « à la carte » » fait son come-back redonnant aux clients le luxe de pouvoir choisir On ne va pas se priver de de faire de de même avec les boissons On n’a jamais trop de liberté Double ou ou triple accord Petit pari sur l’avenir : puisque les accords sont cadencés par les assiettes il est à prévoir que
les chefs vont proposer des « multi-accords » pour un même plat Une bouchée une gorgée Une cuillerée pour maman sancerre une bouchée pour papa cornas une dernière pour papi tokaj Est-ce qu’on pourrait laisser nos papilles tranquilles ? Ne rigolez pas c’est comme
la 5G ça arrive bientôt 10


















































































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