Page 39 - MOBILITES MAGAZINE N°9
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Technologies & innovations
choc d’un mariage
UN GÉANT CHINOIS FAIT TREMBLER L’INDUSTRIE FERROVIAIRE
Le « péril jaune » est de retour. Après avoir fait les délices des chroniqueurs et les frayeurs de l’opinion de la Belle époque, il prend aujourd’hui le visage de l’ogre chinois CRRC, prêt à manger notre industrie ferroviaire. Né en 2015 de la fusion de deux consortiums d’Etat, CRRC totalise 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 21,5% de l’industrie ferroviaire mondiale. Ses concurrents se trouvent loin derrière avec 8,5% pour Alstom allié à Siemens, et 4,7% pour le Canadien Bombardier, l’Américain gE transport ne totalisant que 3,5%, en dépit de l’importance du marché local. tandis qu’une grande partie des 62,8% restants concerne des marchés quasiment fermés.
Géant adossé à un marché national ...
gigantesque, CRRC propose à l’international des matériels et des équipements de plus en plus sophistiqués grâce aux technologies étrangères transférées, digérées, puis développées*.
En entrant dans les complexes appels d’offres américains, il propose des prix cassés, ce que montre un récent succès face à Bombardier sur son terrain, à Montréal !
Véritable « bras armé ferroviaire » de la politique chinoise des Routes de la Soie, il s’implante aussi en Afrique, où la nouvelle ligne éthiopienne Djibouti-Addis-Abeba remplace celle construite par les Français il y a juste un siècle...
En dépit de son gigantisme, l’arbre chinois de demain cacherait-il la forêt japonaise d’aujourd’hui ? Puisque si les nouvelles rames à 200 km/h des services régionaux de la LgV Londres-Douvres sont signées Hitachi, jamais un constructeur ferroviaire européen n’a vendu de matériels roulants au Japon. Et aucun matériel chinois ne circule sur les rails de l’Union européenne...
(*) Celles de Siemens en tête, puisque les rames CHR 380, fleuron de la grande vitesse chinoise, sont déri- vées directement du Velaro, lui-même issu de l’ICE !
jeure du groupe allemand qui, en 2012, couvrait 29% de ce marché mondial en pleine expansion. Avec 10%, Alstom se plaçait derrière Ansaldo-STS (14%) et Thales (12%). Et si la reprise des activités signa- lisation de General Electric, liée à la cession du pôle énergie en 2014, a apporté de nouvelles parts de marché à Alstom Transport, elle n’a pas offert l’occasion d’un saut technologique ...
Un « mariage entre égaux » qui fait polémique pour l’avenir
L’accord met en place une direction installée en France chez Alstom, avec à sa tête Henri Poupard-La- farge, président d’Alstom Transport. Toutefois, la direction des activités signalisation et systèmes, dont on a vu l’importance, reste à Berlin. En dépit d’une gouvernance par- tagée, les conditions de l’accord peuvent-elles mener à une pré- dominance de Siemens qui serait le prélude à l’effacement d’Alstom ? Rappelons qu’à l’issue de la période initiale de quatre ans, Siemens, qui dispose déjà de six des 11
sièges au Conseil d’administration du nouveau groupe, pourra devenir majoritaire dans le capital.
Aussi l’accord est à l’origine d’une polémique virulente qui met en cause la politique industrielle gou- vernementale. Bruno Le Maire, mi- nistre de l’Economie, qualifie l’opé- ration de « mariage entre égaux » pour justifier le renoncement de l’Etat au rachat des 28% de parts d’Alstom détenues par Bouygues( 3) et il affirme avoir des « garanties sur les sites, l’emploi, la direction et les savoir-faire technologiques », Comité national de suivi à l’appui. A contrario, Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’Industrie, qui avait milité pour un donnant-don- nant(4) avec Siemens lors de la vente d’Alstom Energie, évoque un « désastre national qui nous coûtera certainement très cher et aggravera encore notre faiblesse industrielle ».
Et Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France, région qui re- groupe la moitié des activités de l’industrie ferroviaire nationale, parle de « faux Airbus du rail puisque l’Etat se désengage » et « qu’on ne construit pas un champion européen, mais un champion allemand ».
Et si l’avenir de l’industrie ferroviaire est dans le cadre européen, l’Eu- rope a-t-elle pour autant une po- litique industrielle ? Au-delà de cette « concurrence libre et non faussée » qui tend à faire du mar- ché de l’Union, normes techniques et environnementales exceptées, un terrain de chasse ouvert à tous en l’absence d’un European Buy Act qui serait inspiré de la législation américaine. z
MICHEL CHLASTACZ
1 Selon l’hebdomadaire Der Spiegel, 3000 emplois seraient menacés, France et Allemagne réunies.
2 Si le marché locomotives français est atone, Alstom en- grange des succès notables à l’international comme le montre l’accord avec le Kazakhstan.
3 Une participation qui rapporterait 500 millions d’euros à cet actionnaire majeur. Puisque l’accord prévoit la distribution aux actionnaires de 1,8 milliard d’euros de « dividendes spéciaux » en 2018.
4 Energie moins le nucléaire contre ferroviaire, signalisation comprise selon la proposition du patron de Siemens, Joe Kaiser.
MoBiLitéS MAgAziNE 09 - NoVEMBRE 2017 - 39