Page 31 - MOBILITES MAGAZINE N°38
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                  Politique & institutions
stratège ferroviaire
dans ce domaine, n’a jamais été délimitée en tant que telle. Elle n’a pas non plus été intégrée dans les grandes politiques d’aména- gement du territoire mises en œu- vre durant les années des « Trente glorieuses ». Et en 2016 ce terme est devenu par trop dirigiste, voire « planificateur », pour être encore utilisé...
Toutefois, les retards accumulés dans l’entretien, la maintenance et la modernisation du réseau ferré classique (hors LGV) sont si criants qu’un tournant est pris dans ce domaine à partir des années 2007- 2008, avec une augmentation ré- gulière des investissements de re- nouvellement du réseau.
Quand les audits du réseau agissent comme des électrochocs
On peut penser qu’il s’agit d’un lent murissement de la nécessité de cet État stratège non encore dénommé. Une prise de conscience accélérée par les directives euro- péennes, principalement la 91-440 qui demande la séparation de ges- tion et de financement entre les infrastructures ferroviaires et leur exploitation. Une démarche qui rompt fondamentalement avec les pratiques en place en France depuis des décennies.
Mais ce sont aussi et surtout les conclusions des deux audits suc- cessifs du réseau ferré national, réalisés en 2005 et en 2012, qui ont fait l’effet d’électrochocs. Réalisés par des équipes de l’École Polytechnique de Lausanne, on les désigne sous les intitulés res- pectifs « d’audit Rivier » et « d’audit Putallaz », les noms de leurs ré-
dacteurs. Le premier met en avant la dégradation du réseau, tandis que le second est une mise à jour du premier avec un approfondis- sement général qui a été en partie à l’origine du « Contrat de perfor- mance »(2) conclu en avril 2017 entre l’État, et les entités SnCF Réseau et SnCF Mobilités. Créées dans le cadre de la première ré- forme ferroviaire en 2014, elles ont subsisté après la seconde ré- forme, celle de 2018.
Le premier audit avait révélé l’état catastrophique du réseau, parti- culièrement celui des lignes capil- laires, ces petites lignes « UIC V à VII » qui sont d’ailleurs toujours
un sujet ultra-sensible tant politi- quement que techniquement (voir Mobilités Magazine, n°36/avril 2020). Et il esquissait de premières pistes de renforcement et de re- lance de la maintenance, en pré- conisant notamment de renverser les proportions entre le renouvel- lement - alors très minoritaire en France en comparaison d’autres pays - et l’entretien.
Le second audit estimait que la « pérennisation du réseau ferré national exige l’inévitable poursuite de la montée en puissance des budgets de renouvellement », avec au moins 450 M€ supplémentaires par an par rapport aux préconisa- tions du premier audit. Mais il a aussi et surtout pointé les profonds retards d’entretien qui affectaient aussi le réseau ferré principal struc- turant, les lignes « UIC I à IV », dont il estimait qu’« il est impératif de stopper le vieillissement ». Ce que démontre le doublement du kilométrage concerné par des ra- lentissements sur ce réseau prin- cipal de 2008 à 2016.
L’analyse qui s’est révélée d’autant plus d’actualité que le 12 juin 2013, moins d’un an après sa publication, ce second audit s’est trouvé tragi- quement illustré par l’accident de Brétigny-sur-Orge. Un déraillement intervenu sur la partie francilienne de la ligne POLT (Paris-Orléans-Li- moges-Toulouse) qui est l’un des plus importants axes classiques du réseau ferré français( 3).
Il est évident que ces deux audits ont été en grande partie à l’origine de la prise de conscience des gou- vernements successifs, qui ont progressivement accéléré le rythme du renouvellement du réseau. Ainsi,
   Un État stratège ferroviaire...
sans cartes ni gUides, ni gPs !
L’État stratège ferroviaire donne parfois l’impression de rouler en « marche à vue » au sens du règlement de circulation SNCF*. Parce qu’en l’absence d’un « Schéma ferroviaire national », on se trouve ici comme un voyageur errant sans carte ni boussole ou plutôt, de gPS.
Dans la mesure où un schéma de ce type, qui existe dans la plupart des autres pays de l’Union européenne (ils comportent parfois un seuil de population des lo- calités qui rend la desserte ferroviaire nécessaire), offre l’intérêt de pouvoir classer les lignes en fonction de leur importance (structurante nationale, structurante inter-régionale, lignes régionales et lignes suburbaines). il permet également, en fonction de ce classement, de clarifier les responsabilités financières respectives de l’État, des Régions et des autres partenaires, comme celles à venir des métropoles avec la mise en place de systèmes ferroviaires de type ReR ou de banlieue.
* La « marche à vue » est autorisée par exception à la vitesse maximale de 30 km/h pour franchir un signal fermé ou en panne. Elle impose au conducteur d’avancer avec prudence de manière à pouvoir s’arrêter avant un obstacle ou une queue de train qui précède.
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