Page 49 - MOBILITES MAGAZINE N°59
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 Opérateurs & réseaux
les dangers du silence
de la Route, qui interdit la conduite à toute personne atteinte de surdité profonde. Car le bruit est un bon joker pour signaler existence, di- rection et proximité du danger qu’on ne voit pas.
En France, le bruit passé
sous licence...
Le silence pour le conducteur va de pair avec le silence pour le pié- ton. La France s’est peu penchée sur les conséquences du faible bruit des nouveaux véhicules, mais une étude de la National Highway Traffic Safety Administration (ho- mologue états-unienne de la Sé- curité Routière) recense 2400 acci- dents par an impliquant véhicules trop discrets et piétons ou usagers de micromobilité ; et le risque de collision entre voiture électrique et piéton est 20 % plus élevé qu’avec une thermique.
Les plus vulnérables restent ceux auxquels les déficiences auditives rendent les bruits peu audibles,
La confusion des sons réduit la rapidité
de réaction.
mais aussi les déficients visuels auxquels seuls les sons permettent d’évaluer les dangers.
Ceux qui souffrent de ces défi- ciences sont d’ailleurs classés « personnes à Mobilité Réduite » par les textes, qui introduisent la notion de « handicap invisible », source de réactions dangereuses chez le commun des mortels, qui aborde l’autre comme s’il entendait
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  TROP DE BRUIT OU PAS ASSEZ ?
Sophie-Victoire Trouiller, aveugle et consultante en handicap chez Tell Us Another
Pour un aveugle, circuler, c'est d'abord se concentrer sur toutes les sensations qu’il perçoit, puis tenter de faire le tri. L’ouïe est le sens le plus important, tant du point de vue de la finesse de l’écoute (identification, localisation en direction et distance) que de la quantité des informations que nous combinons par la suite. Ce sont nos oreilles qui nous permettent de détecter les véhicules et les gens qui passent. Les bruits sont extrêmement variés et n’incarnent pas tous le même danger. C’est là un problème majeur, car plus le bruit est fort, plus nous, aveugles, le ressentons comme une menace. C’est la source de nos erreurs les plus grossières : si je marche dans un environnement où il y a des travaux, le bruit d’un marteau-piqueur ou d’une tronçonneuse met automatiquement mon cerveau en alerte. Je vais avoir tendance à ne penser qu’à ça, sans pouvoir concentrer mon attention sur les véhicules qui passent à proximité.
Le faible bruit que font voitures électriques, mais aussi trottinettes ou vélo les rendent inoffensifs dans notre inconscient ! Traverser correctement un "carrefour complexe" (plus de deux voies parallèles) est extrêmement difficile pour nous. On a bien mis en place des feux parlants, mais souvent ils se déclenchent tous en même temps : les voix se mélangent et on ne sait plus bien de quel passage protégé vient le “Passez !” ou le “Attendez, piéton !” Heureusement que nous disposons du toucher, indirect la plupart du temps, par le biais de la canne ou des chaussures, et d’un sens qu’on oublie souvent, voire dont les voyants ne soupçonnent pas l’existence : le sens des masses. Grâce à lui, nous pouvons suivre un mur sans devoir le toucher en permanence avec la canne ou les doigts. C’est lui qui nous permet de détecter un porche, une boutique, un arbre ou des poteaux de signalisation... Il nous donne une idée de l’atmosphère globale du lieu dans lequel on évolue. Il est extrêmement rassurant, et c’est pourquoi traverser une place sans aucun point de repère à proximité est souvent déstabilisant, même quand il n’y a aucun danger. Je suis frappée par le nombre de coups de gueule que les aveugles publient sur les réseaux sociaux : ce n’est pas très constructif vis-à-vis de ceux qui tentent de faire quelque chose, même en agissant de travers, alors que la plupart des gens s’en moquent. Il faudrait juste nous consulter davantage .
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