Page 43 - AQMAT Magazine Automne 2022
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 Nous et les Autochtones
 Manon Jeannotte, directrice de l’École des dirigeants des Premières Nations
 Pierre Trudel, professeur en science politique de l’UQAM
  Manon Jeannotte est directrice de l’École des dirigeants des Premières Nations, propulsée par l’École des dirigeants HEC Montréal, dont elle est également co-initiatrice. Elle possède plus de 20 ans d’expérience professionnelle auprès des Premières Nations, tant sur les plans de la politique, de la gouvernance que de la défense des droits de ses pairs, étant elle-même issue de la Nation Micmac de Gespeg.
Dans un article publié dans le magazine Les Affaires, Mme Jeannotte écrit :
«Lorsqu’on fait référence à l’entrepreneuriat autochtone, il est facile de tomber dans certains stéréotypes ou idées reçues. Le premier réflexe est de penser à la fabrication d’artisanat traditionnel autochtone. Ce qui n’est pas mauvais en soi, mais l’entrepreneuriat autochtone c’est aussi très contemporain. Les exemples récents de réussites sont nombreux, et parfois méconnus de la population. Et ils pourraient bien abattre rapide- ment certains mythes. (...) En 2021, pas moins de sept commu- nautés Mi’kmaq de l’est du Canada se sont unies et ont investi 250 millions de dollars en vertu d’un prêt de 30 ans pour se porter acquéreuses de la moitié des parts de Clearwater Seafoods ce géant des fruits de mer. Cet investissement est devenu le plus important jamais réalisé par un consortium constitué des communautés Membertou, Miawpukek, Paqtnkek, Pictou Landing, Potlotek, Sipekne’katik, et We’koqma’q. Si cette transaction est saluée, c’est qu’elle marque une victoire majeure pour la nation Mi’kmaq dans le monde des affaires. (...) En réalité, l’acqui- sition de 50 % de Clearwater Seafoods fait d’une pierre deux coups. Au-delà de préserver la prospérité et l’emploi pour les Autochtones et les allochtones, il s’agit d’une étape majeure pour faire basculer les mentalités. Il y a encore quelques années, les différents peuples autochtones n’étaient pas considérés comme des partenaires économiques autonomes. L’acquisition de la plus grosse entreprise de fruits de mer du Canada, qui compte des activités dans 48 pays, constitue un premier jalon majeur et vient renverser complètement les idées reçues. »
Les relations d’affaires qui prennent forme entre les Québécois et les peuples autochtones dans le milieu de la quincaillerie et des maté- riaux de construction sont des brèches lumineuses qui pourraient, à terme, contribuer à réduire le fossé qui sépare les Québécois de ces peuples qui occupaient le territoire bien avant les Blancs, voire changer les perceptions négatives et contrecarrer la mécon- naissance généralisée au sujet des Premières Nations.
« Il va y avoir de plus en plus de relations concrètes entre Autochtones et non autochtones dans le domaine des affaires, affirme Pierre Trudel, professeur en science politique de l’UQAM. On va apprendre à se connaitre en faisant affaire ensemble.»
Des affaires dans
un climat sociopolitique difficile
Lors des discussions avec la communauté de Wemotaci, Philippe Lebel insistait pour que le partenariat soit le fruit de décisions d’affaires uniquement.
«Au début, on avait peur beaucoup de la politique, on ne voulait pas que la politique se mêle des affaires. On voulait que ça reste un business rentable. C’est le conseil de bande de Wemotaci qui est propriétaire de la compagnie. On craignait que si le chef change, si le conseil change, notre façon de travailler change aussi. Nous, on ne voulait vraiment pas ça. On voulait du long terme. Pas de décisions politiques, mais des décisions d’affaires. »
Comprenant bien l’enjeu, «les communautés autochtones mettent sur pied des sociétés de développement économique qui per- mettent de séparer le politique de l’économique, explique Éric Piché de MNP. Si un nouveau conseil arrive, le partenaire privé ne sera pas impliqué dans le politique. Ce ne sera pas un enjeu. »
Plus de trente ans se sont écoulés depuis la crise d’Oka alors que la colère et la frustration dominaient l’opinion publique au Québec. Qu’en est-il du climat politique aujourd’hui ?
«D’un point de vue macro, les relations entre les communautés autochtones et la société québécoise sont difficiles. Elles sont bloquées», estime Nicolas Renaud, professeur en Études autoch- tones à l’Université Concordia. Quelque chose ne passe pas dans la communication.
«Ça a beaucoup à voir avec les gouvernements qui disent favoriser le développement économique, mais il y a toujours une limite à ce que l’on consent aux Autochtones ou à ce que l’on veut leur reconnaitre. Ça n’empêche pas les partenariats de se développer entre des gens, des compagnies et des communautés. En ce moment, ces partenariats se développent malgré le climat général des relations globales. C’est très dur de faire abstraction de ça pour quiconque
Suite de l’article en page 44 >
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