Page 44 - AQMAT Magazine Automne 2022
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 Nous et les Autochtones
 Nicolas Renaud, professeur en Études autochtones
à l’Université Concordia
 Éric Deslongchamps, propriétaire des magasins RONA Deslongchamps
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veut développer des rapports avec des communautés autochtones. C’est très dur de faire abstraction du fait que les Autochtones ne perçoivent pas le respect de la part de l’État québécois. Du point de vue autochtone, il y a quelque chose qui bloque quelque chose qui ne passe pas. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de bonnes relations qui vont se développer sur des bases précises pour divers projets, mais le contexte global, duquel on part, c’est un contexte de tensions, de malentendus, qui reste toujours en arrière-plan. »
Le gouvernement du Québec actuel exprime ainsi sa Vision économique du Québec : «le gouvernement s’est fixé comme objectif de faire du Québec une nation plus prospère, dont le niveau de richesse sera comparable à celui de ses voisins canadiens, notamment l’Ontario. Pour y arriver, il mise sur sa plus grande richesse : les Québécoises et Québécois.»
Si la responsabilité d’un gouvernement qui vise la prospérité éco- nomique est de créer un climat politique propice au développement des affaires, nos dirigeants ont encore beaucoup de travail à faire. En 2022, les relations d’affaires avec les Premières Nations se déve- loppent malgré un environnement politique miné, tendu.
« D’un point de vue politique, explique M. Renaud, les relations entre les Blancs et les Autochtones demeurent une relation coloniale, une relation d’un dominant envers des gens qui sont censés être soumis, intégrés et dont la souveraineté et la distinction ne sont pas reconnues. Les Autochtones sont très conscients du rapport avec le pouvoir politique. Ça ne veut pas dire que c’est ça le rapport avec les gens dans les affaires, dans l’éducation, dans les arts. Les relations se poursuivent. Il faut justement compter sur le fait que les rapports fructueux se produisent et se poursuivent sur le terrain en dépit du grand tableau politique. C’est comme ça que les choses changent lentement dans la réalité parce qu’on ne peut pas attendre que le gouvernement du Québec, peu importe le parti au pouvoir, reconnaisse la souveraineté autochtone. Ça n’arrivera pas demain. »
Des relations d’affaires
pour faire reculer les préjugés
«On a des préjugés par rapport aux Autochtones, avoue Éric Deslongchamps, qui exploite la quincaillerie Rona sur la réserve de Kitigan Zibi ; des préjugés, à l’effet que ce sont des gens moins bien organisés, qui ne veulent pas travailler. Moi j’ai appris à découvrir des gens qui sont super organisés et qui travaillent en équipe. J’ai décou- vert des gens d’affaires qui veulent le bien de leur communauté. J’ai rencontré des gens sur le conseil de bande qui sont ouverts et qui partagent les mêmes préoccupations que nous ; l’éducation, la santé
de leur communauté. Leur objectif est d’aller chercher des revenus pour pouvoir offrir des services aux gens de leur communauté. »
Le professeur Pierre Trudel a une longue expérience sur la ques- tion des préjugés. «C’est une distorsion par rapport à la réalité qui fait en sorte qu’on a des opinions négatives. Si on s’ouvre à une meilleure compréhension concernant les mythes qui veulent que les Autochtones coûtent cher et qu’ils n’avancent pas, c’est sûr que ça va améliorer les relations. C’est ça un changement de culture. Ça fait 20, 30 ans qu’on est dans une démarche de faire reculer les préjugés et de mieux se connaitre. Dans une société, il y a plusieurs étages, plusieurs niveaux et ça prend du temps pour que l’ensemble de la maison soit atteint avec de l’information et de la formation. Les préjugés existent encore, mais aujourd’hui la maison a beaucoup plus d’outils pour nuancer, contrecarrer et découvrir d’autres cultures. On ne pourra jamais découvrir ces cultures complètement parce qu’on ne vit pas dans les autres cultures. » À défaut de vivre dans les autres cultures, le fait de les fréquenter au quotidien entraine néces- sairement un rapprochement.
Éric Deslonchamps, dans le cadre du partenariat conclu avec la communauté de Kitigan Zibi, côtoie ces Premières Nations depuis presque quatre ans. « On apprend à se connaitre et en fin de compte on n’est pas si différent, mais l’histoire est difficile. Il ne faut pas l’ou- blier et recréer les mêmes choses. Quand on réalise tout ce que les Premières Nations ont vécu, c’est un choc. » M. Deslongchamps fait référence aux horreurs perpétrées dans les pensionnats autochtones par des prêtres catholiques. Des horreurs qui ont été dénoncées par le pape François, en visite au Canada récemment : «Enlever des enfants, changer leur culture, leur état d’esprit, leurs traditions, oui, j’utilise le mot “génocide”.» Pour que ce génocide ne tombe jamais dans l’oubli, l’assemblée des Premières Nations adopte, en 2014, une résolution déclarant que le 30 septembre est la journée du chandail orange; une journée de commémoration, d’ensei- gnement et de guérison. Un premier pas vers la réconciliation. La quincaillerie opérée par Éric Deslonchamps à Kitigan Zibi participe à cette commémoration. «Lors de la Journée du chandail orange, dans le magasin on avait tous des chandails oranges pour soutenir la cause et partager la souffrance qu’ils ont vécue dans les pension- nats. Ça nous amène à réfléchir sur notre histoire, sur ce qui s’est passé; même si je n’ai pas d’influence et je ne peux pas réparer le passé ça nous amène à réfléchir. »
«Avec la Révolution tranquille, explique Nicolas Renaud, le Québec s’est sorti d’une situation de subalterne pour se développer selon ses propres termes. On dirait que le Québec collectivement n’est pas capable de s’imaginer comme étant capable de marginaliser les
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