Page 2 - Journal Juin & Juillet 2018
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Du coq à l’âne…


                                                    Micheline Perreault
                                                Commentaires & suggestions
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                    Accord

                                                 Ossements et rêves


                         Les tanainas du sud de l’Alaska racontent l’histoire d’un jeune homme qui cassait et se débarrassait sans scrupule
                         des oc de caribous qu’il avait abattus. Un jour, des souris commencèrent à le harceler : elles lui faisaient manquer
                         ses repas, mangeaient les proies prises dans ses pièges et l’empêchaient de dormir la nuit. Une nuit, il vit en rêve la
                         maitresse des caribous lui montrant les animaux atrocement estropiés qu’il avait fait souffrir par sa négligence. Elle
                         lui expliqua que les âmes de ces bêtes qui devaient se glisser dans les corps reconstitués à partir des os cassés ne
                         pourraient  jamais  revenir  sous  forme  d’animaux  vivants.  Chaque  espèce  animale  utile  aux  hommes  était  ainsi
                         placée sous la protection d’une maitresse ou d’un maitre envers lesquels les hommes devaient montrer du respect
                         pour que leur chasse soit fructueuse. Par ailleurs, chaque animal possédait également une âme.

                         « L’animal et son âme ne sont qu’une seule et même chose » expliquait un Koyukon à l’ethnologue Robert K.
                         Welson. « Si tu appelles un animal par son nom, alors tu appelles aussi son âme. Certains noms sont ainsi hutlance
                         (tabou), ceux par exemple que les femmes n’ont pas le droit de prononcer. Il faut également citer le moins possible
                         le nom des défunts. Cela revient à appeler leur âme, ce qui peut être dangereux pour celui qui l’a fait. »

                         Seul le respect d’un grand nombre de règles garantissait le succès de la chasse. Chez les Athapascans des régions
                         subarctiques du nord-ouest, le fait de rêver à l’avance des traces laissées par l’animal espéré signifiait que l’âme de
                         ce dernier était prête à se donner à l’homme. Chez les peuples algonquiens en revanche, cette tâche incombait
                         généralement  à  un  visionnaire  à  qui  les  chasseurs  s’adressaient.  Les  caribous  s’annonçaient  également  aux
                         Athapascans par le biais de chansons que ces derniers avaient en tête en se réveillant. Mais ces chansons pouvaient
                         aussi indiquer qu’un tabou avait été enfreint, par exemple lorsqu’une femme ayant ses menstruations avait mangé
                         de la viande de caribou fraiche.

                         Avant chaque campagne, le chasseur devait prendre un bain de vapeur dans une hutte spécialement aménagée,
                         rituel  qui  lui  permettait  de  se  purifier.  Lorsqu’un  homme  avait  l’intention  d’aller  chasser,  il  ne  l’annonçait  pas
                         directement et disait plutôt « je vais observer les traces d’élan ». Le nom d’un animal tué ne devait jamais être cité
                         en sa présence pour ne pas irriter son âme. On employait donc plutôt une périphrase. Les Koyukons appelaient,
                         par exemple, le renard roux « traces nombreuses ». Les femmes n’avaient pas le droit de prononcer le nom des
                         ours bruns et devaient employer « ceux qui sont dans la montagne » ou parlaient de « gros animal » en anglais
                         même lorsqu’elles maitrisaient bien la langue. Les chasseurs mettaient de la chair de poisson dans la gueule des
                         loups qu’ils venaient de tuer ou un os dans celle des renards afin de nourrir leur âme et de se réconcilier avec elle.
                         Ils cassaient  en revanche les  pattes  postérieures  des lièvres arctiques avant de  les ramener  à l’intérieur de leur
                         maison pour que leur âme ne gambade pas partout et ne cause aucun dommage.

                         La viande savoureuse de castor était très appréciée de tous mais, la consommation de cet animal très admiré en
                         raison de son mode de vie (appeler quelqu’un castor était le plus grand honneur possible) demandait de prendre
                         des précautions particulières. Sa gorge ne devait en aucun cas être tranchée, ni ses yeux abimés. Les Koyukons
                         rejetaient à l’eau les os de castors qui restaient à la fin du repas en priant de « revenir sous la forme d’un nouvel
                         animal l’année suivante. »

                         On  prêtait  aux  poissons,  comme  au  gibier,  des  forces  surnaturelles.  Les  enfants  portaient  ainsi  des  queues  de
                         saumon autour du cou en guise d’amulettes. La première prise de poissons blancs de la saison donnait lieu à un
                         repas, partagé par tous les membres du camp, au cours duquel il fallait veiller à ce qu’aucune arête ne se sépare de
                         l’arête principale et que l’ensemble soit bien intégralement rejeté à l’eau finalement.

                                                                                                  Micheline
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