Page 4 - Journal Juin & Juillet 2018
P. 4

Mes écrits...


                                                       Louis Dumas







                                                 Anxieuse la tortue




         Une tortue vivant dans un lac,                           Apeurée, elle tenta de recracher la perchaude,
         N’avait peur de rien.                                    Mais l’hameçon était solidement enfoncé.
         Elle se couchait sur les pierres chauffées par le soleil,   Le pêcheur bien peu indulgent,
         Nageait allègrement et avec grâce,                       Et sûrement bien peu touché par la souffrance du reptile,
         Et chassait des poissons.                                Mit le pied sur la carapace de l’animal,
         La vie s’écoulait ainsi doucement.                       Qui était à court de sang-froid,
         Les amis du lac,                                         Puis tira sur le fil à pêche relié à la fausse perchaude.
         Ne pouvait qu’apprécier sa bonne compagnie.              Le leurre fut arraché de ce palais déjà bien douloureux,
         N’aspirant qu’à une vie,                                 Mais quelle souffrance ce fut !
         Garnie de délicieux poissons et têtards,                 Dès qu’elle ne fut plus hameçonnée,
         Elle ne se connaissait pas d’ennemi.                     La misérable s’enfonça dans sa carapace.
         Un jour où elle traversait gracieusement le lac,         Le pêcheur renvoya sa victime à l’eau d’un coup de pied.
         Une perchaude bien peu maligne coupa sa route.           La pauvre créature marine,
         Les collations de perchaudes,                            Souffrit longtemps,
         Elle les adorait plus que tout.                          Mais la blessure cicatrisa.
         Elle croqua donc de sa puissante mâchoire le poisson,    L’abominable pêcheur lui avait fait connaître la peur,
         Mais son palais en fut pris d’une douleur fulgurante.    Pour la première fois de sa vie.
         Soudainement,                                            Elle s’était sentie en danger.
         Elle sentit une force inconnue,                          Réalisant que manger aurait pu lui être fatal,
         La tirer impitoyablement vers le rivage.                 La graine de l’anxiété germa en elle.
         Elle tenta bien de résister,                             Anxieuse comme un alevin dans le courant,
         Mais il n’y a rien à quoi s’accrocher,                   Elle se méfiait,
         Quand on flotte au milieu des flots.                     Des amis du lac,
         Se débattant furieusement pour se défaire du poisson maudit,   De ses proies qui lui semblaient toujours suspectes,
         Elle fut arrachée à son élément,                         Et enfin même des rochers.
         Puis jetée sur le rivage.                                Presque toujours enfoncée dans son armure,
         C’était un pêcheur,                                      Elle vécut centenaire,
         Qui l’avait ainsi projetée sur la berge.                 En ermite, rongée par la peur de la fin.
         La tortue comprit alors l’étendue de sa méprise.



         Une seule chose est pire que de n’avoir peur de rien, il s’agit de ne pas vivre sa vie pour se mettre à l’abri de tous les
         dangers dans une forteresse. Ici, le paradoxe présent dans la vie qu’avait vécue la tortue ne peut le démontrer de façon plus
         limpide.











            4
   1   2   3   4   5   6   7   8   9