Page 36 - Hunzinger - Press - Un chien à ma table
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Le 12/09/2022
               et lucides d’un monde où ils ne se sont jamais sentis à leur place, un monde qui

               s’effondre.
               « Production de marchandises, destruction du monde, grèves, promesses, mensonges,

               production accrue de marchandises. Violences. Surveillance. Bizarreries. Toutes ces
               bizarreries.  Ça  n’arrêtait  pas,  nous  atteignant  jusqu’aux  Bois-Bannis  […]  Le  pire

               pouvait arriver d’un instant à l’autre. Il était déjà là. On s’était soudain retrouvés dans

               un  temps  de  charniers  humains,  animaux,  végétaux,  comme  toujours,  mais  en
               accéléré. Un temps d’effroi global. Qui pouvait y échapper ? Personne ne pouvait y

               échapper. Ne pas s’imaginer qu’on pouvait y échapper. »
               Et toujours, vivace, pour l’une comme pour l’autre, cette envie irrépressible, plaisir

               infini,  de  déguerpir  –  « Déguerpir,  c’est  ma  base  de  romancière  […]  Je  me  suis
               construite  sur  ce  mot.  Être  forcée  d’abandonner  un  lieu  pour  un autre  tout  aussi

               improbable. »  Ils  se  sont  choisis  bannis,  des  givrés,  des  hors-le-monde,  une  vie
               d’espace et de liberté – « C’était la belle vie dans ce qu’elle a de plus précaire, de plus

               hasardeux et de plus décidé. » Il s’agit pour eux d’accueillir le vivant sur un pied
               d’égalité, de s’y fondre, d’établir un dialogue.

               « Les mots, les oiseaux, ensemble liés, fragiles, abîmés, décimés par nous, ça, je le

               ressentais très fort. Quand est-ce que tout avait commencé ? Sans doute bien avant
               qu’on s’en aperçoive. À quel moment tout s’était-il mis à foirer, visiblement ? Qu’est-

               ce qui s’était joué dans notre dos dont on avait ignoré les signaux lugubres ?«
               L’humain  n’est  pas  au-dessus  du  reste  des  vivants,  nous  sommes  tous

               interdépendants, tous compagnons d’un même sort.



               Le chien
               La nature nous renvoie à nous-mêmes, en un incessant échange, pourvu que nous

               soyions attentifs à la communion enrichissante entre l’humain, l’animal, le végétal.
               Une chienne, débarquée à l’improviste, leur est source de réflexions sur la vie en

               général et en particulier, sur la féminité et le poids de l’écriture. Yes, ainsi nommée

               par la narratrice, secoue leur petit monde. Elle a, autour du cou, un bout de chaîne
               brisée et, sur le corps, de multiples marques de violence, y compris d’exactions
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