Page 37 - Hunzinger - Press - Un chien à ma table
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Le 12/09/2022
               zoophiles. Que lui est-il arrivé ? Qui fuit-elle ? Sophie en prend soin et apprend de

               la chienne qui semble plus domestiquée qu’elle, femme ensauvagée. Elles sont deux
               sentinelles observatrices, à distance, ramenées l’une à l’autre par un lien riche de

               sens et de sentiments qui questionne Sophie dans sa féminité.



               La femme
               « Si la nature est injuste, changez la nature. » Sophie se méfie du mot « nature »,

               comme du mot « genre ».
               « […] je suis une femme. Née comme ça. Pas si simple. Je ne savais plus très bien où me

               situer face au trouble qui avait fait son apparition dans le genre. Je me demandais :

               quel est mon genre ? Qu’est-ce qu’être une  femme aujourd’hui ?  Une femme qui a
               vieilli ?«

               Sa mère l’a initiée au centre et aux marges, à l’indépendance et la liberté qu’elle
               chérit tant ; Yes l’initie à l’émancipation du genre, elle est un chien à sa table, une

               égale.



               « Pour en finir avec le genre, et si le genre en Amérique est une construction, aux Bois-
               Bannis, depuis l’arrivée de Yes, c’était une destruction. On a fini de le déchiqueter, Yes

               et moi. Mis en lambeaux. J’en ai ramassé les débris. Et je suis devenue les débris. Je
               déborde la narration, dépasse les frontières, je chéris l’instabilité, l’imperfection, le

               passage, tous les âges, les loques, les lopins, les bonds, les sauts, les bizarreries. Les

               grimaces. La poésie. C’est quoi, la poésie ? Un pas de côté. »
               Le  corps  change,  se  tasse,  devient  bancal,  illisible,  le  corps  nous  trahit  et  nous
               pousse à renoncer.




               « Et voilà comment, ce soir-là, la défaite de mon corps m’est revenue en pleine figure,
               et comment toutes mes années déjà vécues me sont en même temps tombées dessus.

               Il y en avait beaucoup. J’ai entendu une voix murmurer ‘‘nevermore nevermore’’ et ce
               n’était pas ma voix […] Il était trop tard pour tant de choses. Choses qui vous mettent

               hors d’haleine. Choses qui vous font rougir d’émotion. Choses qui font monter en vous
               de grandes larmes, et qui vous baignent le visage. Choses qui vous tuent sur place. Qui
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