Page 43 - Hunzinger - Press - Un chien à ma table
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Colette Lallement-Duchoze


         Abonné·e de Mediapart
         BILLET DE BLOG   1 OCT. 2022
         Un chien à ma table. Roman de Claudie Hunzinger (Grasset)



         Une Ode à la Vie où, en une suprême synesthésie, les notes de musique sont des couleurs, où la musique a
         un goût d’églantine, plus le goût du conditionnel passé de féerie à fond, où le vent a une tonalité lyrique. Et
         très vite le rythme des ramures va faire place au balancement des phrases, leurs rami cations à la
         syntaxe... « On peut très bien écrire avec des larmes dans les yeux ».





         Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.



         Etre à la marge. Vivre en marge. Relier par un crayon le monde des marges et celui du centre ; dans ce coin perdu les
         bois bannis, - nom lugubre s’il en fut mais fragment d’holocène négligé par le capitalisme ; avec Grieg, le compagnon
         aimant de toujours ; apprendre et apprivoiser dans une interpénétration des règnes et des espèces ! Et voici que
         s’invite à sa table une chienne, baluchon de poils gris famélique. Rencontre épiphanique ! Yes, la chienne, gardienne
         du langage- ; et Sophie la narratrice iront « s’augmentant l’une de l’autre » Pacte tacite dans un monde à vau-l’eau.
         Présence tutélaire quand jaillit soudain l’incipit qui enclenche le processus de la Création et que triomphe la
         parataxe. Oui Sophie, la sœur de Janet Frame, citée en exergue et -royale connivence- le titre du roman comme écho
         à « un ange à ma table ». Janet l’oiseau migrateur, Sophie aux cheveux de ronces, aux yeux de mûres écrabouillées, à
         la voix d’oiseau ». Etrange étrangeté



          Avec ses Buffalos argentées, un corps qui se déglingue (l’épithète déglingué revient en leitmotiv) la narratrice ne
         verse nullement dans la mélancolie. Le constat est certes amer « où étaient passés mes poignets de perce neige et
         mon cou d’hermine encadré de deux jolies oreilles si joliment féminines ». Oui certaines « choses » sont désormais
         impossibles à réaliser « fini les sommets. Fini les forêts. Fini de me lever à l’aube courir les grands cerfs » Mais si le
         monde est impitoyable s’il est troué rétréci sali il y a encore des merveilles, « entre ses mailles rongées » et des
         espèces non inventoriées …



         Et pour qui sait écouter le chant du rouge-gorge « en suspens de ses larmes », apprivoiser une merlette, les mots
         des humains et les oiseaux ou plutôt leurs phrasés sont liés, issus du même fleuve Diversité. A nous de les capter
         dans leur authenticité !


         Métamorphoser une soirée en aurore boréale en robe rose et verte. Dans le lit aux côtés de la chienne Yes et de Grieg,
         la vétusté dans son anarchisme même se drape d’une musique, celle d’une vibration : la respiration du Vivant (oh
         notre petite communauté ! we few we happy few we band of brothers)


          Car il s’agit bien d’une Ode à la Vie où, en une suprême synesthésie, les notes de musique sont des couleurs, les
         anges de Giotto ont des ailes d’oiseaux, où la musique a un goût d’églantine, plus le goût du conditionnel passé de
         féerie à fond, où le vent a une tonalité lyrique. Et très vite le rythme des ramures va faire place au balancement des
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