Page 22 - Lux in Nocte 14
P. 22
au sacrilège, à la profanation, Malraux tint à sa décision : « Ce plafond sera peint par Chagall, ou nous
fermons l’Opéra » (Jean Chaillot, Le Dauphin libéré, 30 novembre 1962). Mais la virulence des attaques
obligèrent l’artiste à travailler dans le silence complet jusqu’à l’assemblage de l’œuvre fait sous
protection militaire. Le ministre tenta cependant de calmer les débats en précisant que l’ancien plafond
sera conservé sous le nouveau, qui conçu de manière amovible permettra d’y revenir, gardant un
patrimoine qui se réinvente sans renier son passé. Aujourd’hui, l’ancien plafond est visible dans les
collections du Palais Garnier grâce à la maquette qu’en avait réalisé le peintre. La volonté d’actualiser
ce monument emblématique du patrimoine français fut perçue comme une nouvelle dimension de la
politique de Malraux qui soutint le rayonnement de l’art français en plaçant l’Opéra Garnier et le
modernisme au centre des actualités, malgré le risque de mécontenter certains conservateurs.
Un panthéon de la musique, traduit par l’aboutissement de son cheminement
créatif
Dans la mesure où Marc Chagall fut habitué à travailler selon des dimensions monumentales, la
contrainte d’une toile amovible de 220m² ne sembla pas le repousser. Le plafond de la salle de
spectacle, tel qu’il se dévoile majestueusement sous nos yeux aujourd’hui, résulte d’un long parcours
de recherche iconographique et stylistique. Charles Sorlier nous offre dans son récit Chagall, le patron
une biographie de l’artiste à laquelle s’ajoutèrent les témoignages d’un ami intime : « Il commença par
réaliser de nombreuses petites études préparatoires comportant simplement des tâches colorées totalement abstraites. Il
introduisit ensuite, sur d’autres esquisses, des découpages de tissu et de papiers collés. Il fit parallèlement de nombreux
dessins sur les thèmes mis en musique par les compositeurs auxquels il souhaitait rendre hommage, réservant une place
d’honneur à Mozart. Il peignit en définitive deux grandes maquettes au dixième du format d’exécution et présenta ses
projets au général de Gaulle et à Malraux pour qu’ils choisissent ».
Il fallut un an à l’artiste pour mener à bien la réalisation d’une œuvre aussi grandiose, qui donna peu
à peu naissance à des motifs et des compositions s’apparentant à un condensé de sa personnalité
artistique.
Entre janvier et août 1963, le peintre travailla d’abord au
musée des Gobelins, puis dans son atelier de Meudon. Ce
travail tellement fastidieux qu’un homme de 77 ans ne
pouvait pas exécuter seul, obligea Marc Chagall à se faire
assister par trois autres peintres que l’histoire négligente,
oublie parfois de mentionner : Roland Bierge, Richard
Paschal et Paul Versteeg. Ces peintres participèrent à
l’exécution du plafond d’après les maquettes réalisées par
Chagall, dès mars 1964, à la Manufacture des Gobelins.
Plafond de Marc Chagall, 1964.
Si le folklore russe et ses traditions natales furent fréquemment employés dans une majeure partie de
sa carrière, il sembla les écarter pour mettre en lumière les compositeurs qui ont marqué par leurs
ouvrages l’histoire de l’opéra et de la danse. Conçu telle une fleur à cinq pétales, le plafond de l’Opéra
Garnier se déploie par des explosions de couleurs associées à quatorze compositeurs.
22