Page 72 - Lux in Nocte 14
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Sixième conversation dominicale


                                                                           Epaminondas Chiriacopol



                         Un début d’après-midi paresseux me collait délicatement les paupières.
                  Je souhaitais, avec une certaine faiblesse, garder au moins mon troisième œil
                  entrouvert mais caché par une mythologie taquine, je ne l’ai jamais trouvé. Rien
                  de grave, car dimanche même les crises s’abandonnent au repos et j’allais me
                  glisser dans le rêve en quittant la pesanteur extérieure pour feuilleter en paix ma
                  collection  de  fantasmes.  C’était  une  démarche  confortable,  subtilement

                  suggérée par le parfum exquis du dernier verre de Metaxa, que j’ai siroté avec la
                  dignité requise par ce valeureux ami grec du Cognac.
                         Mais, non ! A peine plongé dans les nimbes d’une conscience taciturne
                  qui allait m’envelopper avec le voile sensible d’un silence mystérieux que des
                  sons sans visage, des pas cadencés, firent vibrer les bras âgés, un peu ossifiés de
                  mon fauteuil. Il arrivait. Je le savais, mais j’avais évité d’y penser afin de ne pas
                  le réveiller, de ne pas lui donner l’occasion de quitter l’oubli. Ce virus de la
                  pensée,  cette  doublure,  mon  « cher »  alter-ego,  choisissait  toujours  mes
                  absences de conscience pour s’extraire de mon cerveau reptilien et s’immiscer,

                  dans un dialogue qu’il savait provoquer, muni de quelques bribes de pensée, de
                  quelques phrases déchirées qui  flottaient encore sur le lac endormi de mon
                  subconscient.
                         Je ne pouvais pas le chasser, car c’est absurde de se chasser soi-même.
                  Puisque  je  m’étais  indispensable  j’ai  fini  par  m’accepter  et  entamer  ce
                  monologue en dialogue avec mon autre être.

                         -  J’ai bien aimé ta théorie concernant la création du monde, fit-il d’une
                             voix enjouée en utilisant la résonance muette des mots non-dits.

                         -  Quelle théorie ? Je n’ai rien écrit à ce sujet.
                         -  Pas encore. Cela sera fait dans quelques instants, continua-t-il avec
                             assurance.
                         -  Où as-tu trouvé ça ?
                         -   Dans ta mémoire subtile, propre à tout ce qui existe et qui garde les
                             traces  de  la  Création,  ou  plutôt  de  la  dernière  métamorphose
                             universelle.

                         -  Tu as encore fouillé dans l’insondable. Tu vas nous tuer car apprendre
                             la vérité ultime est le signe de la fin, de l’aboutissement de l’existence.
                             Il faut demeurer autant que possible à l’abri de l’infini, relativement
                             inconscient, pour rester en vie.








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