Page 40 - Lux in Nocte 16
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Pakhom marcha encore de ce côté pendant un long moment ; il allait tourner à
                    gauche, lorsqu’il aperçut une fraîche ravine : « C’est dommage, pensa-t-il, de la laisser

                    en dehors ; il poussera ici du bon lin. » Et il continua tout droit. Il engloba aussi la
                    ravine, creusa un trou de l’autre côté, et changea de direction. Il regarda vers la colline.
                    La chaleur troublait le paysage et les gens s’y distinguaient à peine.


                    « Ah ! pensa Pakhom, j’ai trop allongé les deux premiers côtés ; il faut que celui-ci soit
                    plus court. » Il longea le troisième côté en hâtant le pas. Il regarda le soleil : il était déjà
                    proche de son déclin. Pakhom n’avait parcouru que trois kilomètres sur le troisième côté,
                    et le but se trouvait encore à une quinzaine de kilomètres.
                    « Mon domaine ne sera pas régulier, pensa-t-il, mais il faut maintenant aller droit au

                    but. Je risque d’aller trop loin, et il y a déjà assez de terre comme cela. » Alors Pakhom
                    s’empressa de creuser un trou, puis il se dirigea droit vers la colline.

                    Pakhom marcha droit vers le chef. Il se sentait bien las. Il marchait avec difficulté. La
                    chaleur le faisait souffrir, ses pieds nus étaient tout meurtris, et il se sentait fléchir. Il
                    voulait se reposer, mais c’était impossible, car il n’atteindrait pas le but avant le coucher
                    du soleil. Le soleil n’attend pas. Il semblait descendre comme si quelqu’un le poussait.

                    « Hélas ! pensa Pakhom, je me suis peut-être trompé : j’en ai trop englobé : que vais-je

                    devenir si je n’atteins pas le but à temps ? »

                    Il regarda en direction de la colline, puis vers le soleil. Il était encore loin du but, et le
                    soleil frôlait l’horizon.

                    Pakhom continua à trotter. Il peinait, mais força le pas. Il accéléra encore le pas, mais il
                    était encore loin. Il se mit à courir, jeta sa chemise, ses bottes, sa gourde, son bonnet, ne
                    gardant que la pioche qui lui servait de canne.

                    « Ah ! pensait-il, j’ai été trop gourmand. J’ai perdu mon affaire. Je ne pourrai jamais
                    arriver avant le coucher du soleil. »

                    Et, de peur, la respiration lui manqua. Il courait, Pakhom ; la sueur collait sur sa peau,

                    chemise et caleçon ; sa bouche était sèche. Sa poitrine se soulevait comme un soufflet de
                    forge ; son cœur battait comme un marteau, et il ne sentait plus ses jambes. Il fléchit.
                    Pakhom, affolé, ne songeait qu’à ne pas mourir d’épuisement.


                    Il avait peur de mourir, mais ne pouvait s’arrêter. « J’ai déjà tant couru, pensait-il ; si je
                    m’arrête à présent, on me traitera de sot. » Il courait, il courait, et alors qu’il s’approchait,
                    il entendit les Baschkirs siffler, crier : à ces cris, son cœur s’enflamma encore davantage.

                    Pakhom rassembla ses dernières forces et poursuivit sa course.








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