Page 41 - Lux in Nocte 16
P. 41
Le soleil était rouge sang, comme agrandi par la brume, et il s’approchait de la terre ; il
s’apprêtait à se coucher ! Il était si bas, mais le but n’était plus bien loin. Pakhom voyait
déjà le monde sur la colline. On lui faisait de la main signe de se presser. Il voyait aussi
le bonnet par terre, avec l’argent, et le chef assis par terre, qui se tenait le ventre à deux
mains.
« Il y a beaucoup de terre, pensa-t-il ; Dieu me permettra-t-il d’y vivre ? Oh ! je me suis
perdu moi-même, je n’y arriverai jamais ! »
Pakhom regarda en direction du soleil, lequel touchait à présent la terre ; déjà son bord
était caché. Avec le peu de forces qui lui restait, il se pressa, courbé en deux, ses jambes
l’empêchant tout juste de tomber.
Comme il arrivait à la colline, soudain l’obscurité tomba. Il regarda à nouveau vers le
soleil, mais celui-ci s’était déjà couché ! Pakhom s’écria : « Ah ! tout est perdu ! », mais
il entendit les Baschkirs crier et se rappela que si lui, d’en bas, ne voyait plus le soleil,
l’astre n’était pas encore couché pour ceux qui étaient au sommet de la colline. Il prit
une profonde inspiration et grimpa rapidement en haut de la colline. Il y faisait encore
jour. Il aperçut le bonnet, et, à côté, le chef qui s’esclaffait en se tenant le ventre à deux
mains. Pakhom poussa un cri : ses jambes se dérobèrent en dessous de lui, il tomba en
avant, et de sa main il atteignit le bonnet.
« Ah ! Bravo, mon gaillard, s’écria le chef, tu as gagné beaucoup de terre ! »
Le domestique de Pakhom accourut et voulu le soulever ; mais il vit du sang couler de sa
bouche : Pakhom était mort !
Les Baschkirs firent claquer leur langue en signe de pitié.
Le domestique ramassa la pioche et creusa à Pakhom une fosse juste à sa taille, puis il
l’enterra.
Un mètre quatre-vingt-cinq suffirent, soit la longueur du corps, des talons à la tête.
Récit librement adapté et traduit de « Ce qu’il faut de terre à l’homme » de Léon Tolstoï.
6RPPDLUH
41