Page 20 - Bulletin, Vol.79 No.1, February 2020
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Nivellement par le bas
Comme le souligne fort justement le collectif Carré bleu, les anglophones de naissance
sont rares et l'usage quasi exclusif de l'anglais par des locuteurs tardifs a
considérablement appauvri l'anglais pratiqué, devenu une sorte de « globish » assez
répétitif, chacun utilisant toujours les mêmes mots afin que tous en comprennent le
sens... C'est malheureux mais l'affaiblissement du vocabulaire affaiblit en même temps
la pensée ; le tout conduit à un « nivellement par le bas, chacun étant forcé de se
conformer au plus petit dénominateur commun, ce qui en retour affaiblit, par manque de
pratique, la maîtrise des autres langues, » note le collectif. (...) « Malheureusement, la
présentation du collège, le 10 septembre dernier, n'a pas échappé à la règle : discours
monolingue, documents (notamment les lettres de mission) et graphiques en anglais...
À quelques rares exceptions, les briefings (le concept même n'est plus utilisé en
français) sont rédigés exclusivement en anglais, y compris parfois lorsque les deux
interlocuteurs sont francophones. »
L'anglais devient contraignant. Selon ce collectif, « même lorsque l'ensemble de la
hiérarchie est francophone, nous recevons comme instruction orale de ne pas produire
de documents (documents de travail des services, notes internes, projets législatifs ou
projets de communications) dans d'autres langues que l'anglais. Ainsi le secrétariat
général ne dispose-t-il pas de modèle de document de travail des services en français.
L'obligation de fournir à la direction générale de la traduction des documents dans une
seule langue interdit de facto le travail multilingue, y compris pour les documents de
travail de service qui ont par définition en principe un usage interne ».
Après le Brexit
Le collectif Carré bleu souligne l'enjeu géopolitique de la pratique des langues : « La
Commission utilise une langue qui est essentiellement une langue tierce, et qui donne
un avantage concurrentiel (économique et culturel) à des États tiers comme le RU ou
les États-Unis. » Il demande à la prochaine présidence de la commission (elle est
entrée en fonction le 1er novembre) d'« émettre une instruction interne rappelant notre
droit d'utiliser au quotidien les langues procédurales » et de « demander à vos
commissaires et aux directeurs généraux de mettre en place une politique incitative du
multilinguisme, en montrant eux-mêmes l'exemple dans leur communication interne ».
Ursula von der Leyen a pris un bon départ en publiant ses tweets dans les trois langues
officielles. Prendra-t-elle la balle au bond pour aller plus loin ?
Note : Avec le Brexit et le départ des Britanniques, la langue de Molière va-t-elle
retrouver ses lettres de noblesses ? Pas sûr... Et aux Nations Unies, qu’en est-il ?
Source : Le Point, 16 septembre 2019, repris par Boulevard Voltaire
16 AAFI-AFICS BULLETIN, Vol. 79 No. 1, 2020-02