Page 36 - AFJET Carnet de Voyage N°24
P. 36
itinéraires
Martin Nadaud
et les maçons de la Creuse
Jusqu’au début du XXe siècle, de toutes les communes de la Creuse, beaucoup d’hommes partaient vers les grandes villes de France dès la fin du plus rude de l’hiver parce que la terre n’était pas fertile et que l’agriculture vivait au ralenti. Les grands chantiers du bâtiment et des travaux publics favorisaient l’embauche de maçons, charpentiers, couvreurs, tailleur de pierres...
Une migration forcée
à travers les siècles
« Maçons de la Creuse » est l’expression la plus souvent employée, car la Creuse est le département où ce phénomène migratoire fut, de loin, le plus important. Sur les grands chantiers parisiens ou lyonnais, tous ces ouvriers étaient communément appelés « Limousins » et ont ainsi donné leur nom à l’art de bâtir appelé limousinerie ou limousinage. On trouve déjà traces de maçons de la Marche à la fin du Moyen Âge, à la basilique Saint-Denis. Dès le XVIe siècle, ils sont nombreux à migrer.
En 1627, M. de Pompadour, lieutenant général du Limousin, envoie, à la demande de Louis XIII, des maçons creusois travailler à la construction de la Digue de Richelieu de La Rochelle. Au XIXe siècle, avec l’arrivée du chemin de fer, c’est l’apogée de la « migration maçonnante » qui compte jusqu’à 35000 hommes, travaillant notamment à la construction du Paris du baron Haussmann (ci-dessus).
36 afjet - Carnet de Voyage n°24 - Printemps 2024 association française des journalistes et écrivains de tourisme
Les maçons de la Creuse sont très impliqués dans différents mouvements sociaux du XIXe siècle, notamment durant la révolution de 1848 et lors de la Commune de Paris (1871). Plus de 900 maçons creusois participèrent à la Commune de Paris et environ 400 d’entre eux furent tués durant la Semaine sanglante.
Après la Première Guerre mondiale, la dernière génération de maçons de la Creuse travaille activement à la reconstruction des villes sinistrées comme Reims, Saint- Quentin, Soissons...
La Creuse, faute de matières premières et de capitaux, reste un département à vocation essentiellement paysanne. Il se développe au sein des populations un esprit politique contestataire. Les conditions de travail sur les chantiers sont par ticulièrement difficiles, ce qui conduit bien souvent les maçons de la Creuse, à se syndiquer pour obtenir des conditions de travail acceptables. Les maçons de la Creuse ont acquis sur les chantiers des idées socialistes et progressistes qu’ils ont massivement diffusées dans leur région d’origine, dès le milieu du XIXe siècle.
Un esprit politique contestataire
Durant leur voyage à pied vers Paris et le Nord-Est de la France, les maçons creusois, parlant entre eux dans la langue du pays (occitan limousin ou marchois), mal fagotés, étaient fréquemment raillés par les paysans du Berry ou de la Beauce qu’ils croisaient sur la route. Cela se terminait souvent par des insultes voire des rixes.Au XIXe siècle, afin d’améliorer leurs conditions de bagarreurs, de nombreux maçons creusois participèrent à Paris à l’ouverture de salles d’entraînement à la boxe française que l’on nommait alors «salles de chausson ».