Page 37 - AFJET Carnet de Voyage N°24
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Se battre ou s’instruire ?
La Creuse perdit la moitié de sa population entre 1850 et 1950. Certains maçons creusois devinrent entrepreneurs du bâtiment dans les régions de migration habituelles, tandis qu’une majorité d’entre eux s’y fit embaucher dans l’industrie et les services publics (essor du rail et des PTT), bientôt rejoints par leurs familles.
Les maçons de retour au pays incitent souvent leurs enfants à suivre une instruction alors que la tradition et les besoins économiques les orientent plutôt vers le travail à la ferme dès leur plus jeune âge.
Ainsi la Creuse fut très tôt une terre de gauche largement déchristianisée et le terrain d’un communisme rural.
Les métiers des
« maçons de la Creuse »
Dans son ouvrage « les maçons de la Creuse » Louis Bandy de Nalèche (1828-1879), avocat et politicien libéral, publié en 1859 décrit très précisément la nomenclature des métiers et des ouvriers en bâtiment. On y retrouve l’architecte (il élabore les plans du chantier), le maître maçon (il recrute les ouvriers), le maître compagnon et des métiers spécifiques aux diverses tâches : appareilleur, tailleur de pierre, scieur de pierre dure, les poseurs, les bardeurs, employés aux engins...
Le souvenir des « maçons de Paris » est associé à la construction, en hiver, de loges de berger en pierre sèche, encore visibles sur les communes de Saint-Goussaud et d’Arrènes dans la Creuse et de Jabreilles-les-Bordes en Haute-Vienne.u
itinéraires
 Martin Nadaud, le plus célèbre des maçons creusois
Martin Nadaud, né en1815 à Soubrebost (proche de Bourganeuf), est un maçon, écrivain et homme politique creusois. À l’âge de 14 ans, Martin part à Paris avec son père, comme maçons de la Creuse. Il découvre alors les conditions de travail de ses semblables : journées de 12 à 13 heures, travaux dangereux sur les échafaudages, malnutrition, logements insalubres... Il réchappe lui-même à plusieurs accidents. À 19 ans, il est chef d’atelier. Il retrace cet exode qui marqua si fortement les modes de vie dans son livre « Mémoires de Léonard », dont le titre est un hommage à son père, Léonard Nadaud, paysan creusois et maçon à Paris de longues années qui voulut absolument que son fils fût instruit.
Ce livre retrace la vie dans les campagnes de la Creuse sous la Restauration et la Monarchie de Juillet ainsi que la vie des maçons creusois travailleurs immigrés sur les chantiers de construction de Paris. Il retrace le parcours professionnel et son engagement politique en faveur de la République et pour la défense des intérêts du peuple.
Martin Nadaud fut élu député** et défendit l’instauration de retraites ouvrières, de protections contre les accidents de travail pour faire reconnaître la responsabilité de l’employeur (loi de 1898). Il demande aussi l’amnistie des Communards et se bat pour le développement d’un enseignement laïc dans chaque dépar tement, soutenant la loi du 28 mars 1882 (loi Ferry) sur l’instruction publique. Comme élu local, sa grande fierté est d’avoir obtenu la réalisation de la ligne de chemin de fer de Bourganeuf à Vieilleville, inaugurée en 1883.
La Maison Martin Nadaud à Soubrebost (Hameau de la Martinèche).
*Ces ouvriers maçons ont un hymne, une chanson écrite par Jean Petit entre 1855 et 1860. Elle est devenue un hymne pour les Creusois.
** À cette époque, l’histoire des maçons de la Creuse se lie à celle de la franc- maçonnerie, nombre d’élus et entrepreneurs locaux, anciens maçons de la Creuse, devenant francs-maçons. Un grand nombre de lieux et de bâtiments en Creuse portent le nom de Martin Nadaud.u
 D’abord saisonnière, de mars à novembre (à cause du gel et de la neige, les grands chantiers de construction s’arrêtaient durant l’hiver) l’émigration devint souvent définitive au début du XXe siècle.
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