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ROYALEMENT COULÉ
J’ai le plaisir de ramer. Ce cours d’eau est à la fois calme et
mystérieux, bordé d’un tissu sauvage et œuvré par le temps
végétal. L’onde et l’arthrose de bois des rames sur la paire de
dames de nages, causent un cuivré qui frise le silence.
Et ce désir de silence, s’épanche. J’arrête. Mes bras se
récompensent d’un moment de repos.
J’aime ce loisir simple dont le corps porte le contact direct
avec tous ses muscles. Je suis moi, entièrement, décousu de
toutes partitions royale. Il n’y a pas de Sire, de Majesté. Je
deviens un homme, une seule sueur pour humiliation, un seul
effort pour me purger.
Je contemple cet environnement forgé. Je suis l’immobile au
cœur d’un mouvement. J’ai faim. Oui, mais je suis à vide. Ah,
non, j’ai une sucette là dans ma musette elle va me ravigoter
en sucre et louange ce moment aux saveurs de la nature et……
Elle au moins elle ne va pas me tirlipoter le ciboulot, me
chahuter le régime, me jauger les formes, défigurer le paysage
de propositions affligeantes, me dépauler la constitution, me
grenadiner les soirs de fièvre…
Et voilà que ces pensées m’obsèdent comme de la poudre à
canon. Vite, vite, vite… mes cachets… quelle vie ! J’ai oublié,
oublié…
Je reprends mes rames, sucette en bouche, pieds bien calés,
j’actionne mes bras et à l’effort d’un appui trop énergique…
l’astragale… mon astragale une nouvelle fois lâche… cri de
douleur.
Je tire sur mon pied… il est coincé dans ce cale-pied à ressort,
je m’énerve, frappe violemment d’une rame le fond de
barque…
Le soleil me tire dessus… je méprise le ciel gris, les mouettes
aux cris de paillardes… où sont mes gardes… je coule… je
gloute et regloute et puis je glougloute, un instant d’eau aux
narines, brûlures de la trachée et prise d’eau aux poumons,
douleurs profondes dans le silence.