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             avons besoin de nos propres héros, de nos propres poètes, de nos propres mo-
             numents. Il y a beaucoup de choses que Sembène a faites et que je ne pourrais
             pas faire. Je ne pourrais pas imaginer qu’un dos cassé soit l’occasion d’ap-
             prendre à lire. C’est un sens de l’audace et de l’ambition. Et c’est ce qu’il a
             fait. Et si Moolaadé a contribué à apporter des changements positifs dans la
             lutte contre les mutilations génitales féminines, il a fait souffrir cette fille, qui
             en a peut-être souffert. Je suis heureux que ce ne soit pas ma fille, et je suis
             heureux de ne pas avoir eu à prendre cette décision, mais il l’a fait dans un but
             plus élevé. Je ne peux pas dire qu’il a fait le bon ou le mauvais choix en prenant
             le film de Ben Diogaye Beye et Boubacar Boris Diop pour faire Camp de Thia-
             roye, mais je peux dire que Camp de Thiaroye est un chef-d’œuvre.
             SG : C‘était un choix difficile avec lequel il a vécu. Dans les rues de Dakar,
             les gens le traitaient de voleur. C’était très dur, mais le film fait la différence.

             MTM : Selon quel critère évaluons-nous Sembène ?

             SG : Je pense qu’en dépit de son caractère et de ses défauts moraux, il a pour-
             suivi son projet de manière cohérente pendant 50 ans et nous sommes assis ici
             pour parler de son travail. Nous ne pleurons pas sa mort. Nous célébrons sa
             vie parce que Sembène fait partie des géants qui ont contribué artistiquement
             à notre histoire cinématographique et à notre patrimoine culturel, et plus lar-
             gement à l’humanité. En fin de compte, nous avons essayé dans Sembène ! de
             trouver un équilibre entre le personnel et le créatif qui l’a humanisé.

             MTM : Oui. Vers la fin, un intervieweur lui dit : « Quelqu’un m’a dit que la
             franchise est votre perte ». Sembène répond : « Ce n’est pas un défaut, c’est
             ma liberté. C’est la vérité ».

             SG : Laissez-moi vous donner le sous-texte de cette déclaration : ce qu’il disait,
             c’est que la véracité de Sembène mordait les doigts de ceux qui le nourris-
              saient, ce qui explique en partie la difficulté à financer ses films. La réponse
              de Sembène était comme de dire : « Qu’il en soit ainsi ! Oui, je veux que mes
             films soient financés, mais ce n’est pas une raison suffisante pour que je re-
             nonce à dire la vérité ».

             MTM : Et ce prix de la liberté est lourd de conséquences.

             SG : Exactement. La liberté a un prix, et le Ceddo signifie que vous dites la
             vérité même si cela signifie que vous allez mourir.
             MTM : Terminons par l’avant-dernier mouvement du film, lorsque vous,
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