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             exemple, dans la conclusion de Black Girl, Diouana se suicide au nom de la
             liberté et de la dignité.

             JS : Donc, raconter une histoire à partir des marges est un acte qui va résonner
             avec les gens. J’ai enseigné les études culturelles et l’histoire du cinéma à l’Ins-
             titute of American Indian Arts [IAIA ], qui compte un corps étudiant entière-
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             ment amérindien composé d’artistes. Le film qui a eu le plus d’écho chez eux
             est Black Girl. Plus que Le voleur de bicyclette [1948], plus que les films Lu-
             mière, plus que n’importe quel autre film, parce que c’est une histoire qui les
             concerne, même s’ils n’ont rien à voir avec l’Afrique. Ils l’ont eu parce qu’ils
             savent ce que cela signifie de vivre en marge, d’être et de se sentir aliéné et ex-
             ploité.

             MTM : Dans la seconde moitié du film, vous intervenez dans la vie personnelle
             de Sembène, révélant ses aversions, ses échecs et ses conflits familiaux d’une
             manière qui l’humanise mais ne problématise pas ses réalisations artistiques.
             Comment avez-vous assumé ce paradoxe ?

             SG : Contrairement à mon livre sur Sembène, qui était presque hagiogra-
             phique, au cours du processus de discussion et de négociation, j’ai appris une
             leçon importante en réalisant ce film : Comment souligner la grandeur de Sem-
             bène en tant qu’artiste sans perdre de vue qu’il était aussi un homme ? Il avait
             ses échecs. J’en ai été témoin. Beaucoup d’autres personnes en ont été témoins.
             Ironiquement, plutôt que de le réduire à un catalogue d’actes, je pense que la
             reconnaissance de ses échecs l’a rendu encore plus grand. Et cela m’a permis
             de mieux comprendre son sacrifice, si c’est la bonne façon de le décrire, pour
             sa famille, la joie de la famille, la joie du mariage et tout le reste. Il y a un mo-
             ment dans le film où sa femme se souvient qu’il lui a dit : « Même lorsque nous
             passons la nuit dans le même lit, il y a toujours une création entre nous ».
             C’était un homme passionné, passionné par ce qu’il faisait, par ce en quoi il
             croyait, et par la libération des africains. Il croyait que le processus de réali-
             sation d’un film était une véritable participation à la libération de l’Afrique.

             MTM : Est-ce que Samba est généreux et, sans doute, romance Sembène ?

             JS : Nous avons essayé de faire un récit émouvant et révolutionnaire sur ce
             grand conteur, mais je pense que le film s’est orienté vers la tristesse.

             MTM : Est-il une figure tragique ?

             JS : Je ne pense pas qu’il soit une figure tragique. Sembène a passé 50 ans à
             travailler, et il y a encore tellement de travail à faire.
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