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             SG : Oui, je me souviens de lui déclarant : « Nous ne devons pas laisser la
             modernité diluer notre africanité ».

             MTM : Et je me souviens de lui buvant et vantant la supériorité d’une marque
             européenne d’eau minérale sur la marque et la production locales. Jason, la
             formation de Sembène dans l’ancienne Union soviétique a-t-elle influencé son
             approche, son style et sa pratique en tant que cinéaste africain ?

             JS : Je vais vous dire ce que je sais, à savoir qu’il a été influencé par le cinéma
             soviétique, qui a développé sa technique de réalisation. Samba et moi avons
             parlé de l’importance du Cuirassé Potemkine [1925] sur le cinéma de Sem-
             bène.

             MTM : Une influence idéologique ?

             SG : Le Cuirassé Potemkine met en avant le héros collectif plutôt que le héros
             individuel de l’histoire, contrairement à l’histoire américaine [ou hollywoo-
             dienne], et cela a certainement été une influence ; nous le voyons dans des
             courts métrages et des moments spécifiques du film. Nous nous demandions si
             Sembène avait vu Potemkine avant d’écrire Les bouts de bois de Dieu, car les
             thèmes sont très similaires.

             MTM : Est-il probable qu’il l’ait vu à Moscou ?

             SG : Oui, en 1961 ou 1962, après la publication de Les bouts de bois de Dieu,
             bien qu’il ait visité l’Union soviétique dès 1953.

             JS : Mais je pense qu’il est rentré au Sénégal sans vouloir faire des films di-
             dactiques, ouvertement idéologiques ou propagandistes. Il voulait plutôt faire
             des films ancrés dans l’expérience africaine. Bien qu’ils aient des moments po-
             lémiques dans lesquels les protagonistes prononcent parfois des discours, son
             projet était de plonger les gens dans des histoires humaines, et non idéolo-
             giques, ce qui était différent de l’approche soviétique.
             SG : Alors que certains prétendent qu’il s’est rendu en Union Soviétique en
             1961 pour apprendre le cinéma, ses visites antérieures dans ce pays et à Prague
             avaient pour but de le préparer, lui, un intellectuel noir, à rejoindre le Parti
             Communiste. Il a participé à des séminaires à Moscou organisés par le Parti
             Communiste. Puis, en 1961, lorsqu’il choisit de se former à la réalisation de
             films, il commence sans succès en France, jusqu’à ce que l’historien du cinéma
              Georges Sadoul  l’aide à obtenir une bourse pour fréquenter le Studio Gorki
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             avec Mark Donskoy  …
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