Page 583 - Livre2_NC
P. 583
574 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2
SG : Oui, je me souviens de lui déclarant : « Nous ne devons pas laisser la
modernité diluer notre africanité ».
MTM : Et je me souviens de lui buvant et vantant la supériorité d’une marque
européenne d’eau minérale sur la marque et la production locales. Jason, la
formation de Sembène dans l’ancienne Union soviétique a-t-elle influencé son
approche, son style et sa pratique en tant que cinéaste africain ?
JS : Je vais vous dire ce que je sais, à savoir qu’il a été influencé par le cinéma
soviétique, qui a développé sa technique de réalisation. Samba et moi avons
parlé de l’importance du Cuirassé Potemkine [1925] sur le cinéma de Sem-
bène.
MTM : Une influence idéologique ?
SG : Le Cuirassé Potemkine met en avant le héros collectif plutôt que le héros
individuel de l’histoire, contrairement à l’histoire américaine [ou hollywoo-
dienne], et cela a certainement été une influence ; nous le voyons dans des
courts métrages et des moments spécifiques du film. Nous nous demandions si
Sembène avait vu Potemkine avant d’écrire Les bouts de bois de Dieu, car les
thèmes sont très similaires.
MTM : Est-il probable qu’il l’ait vu à Moscou ?
SG : Oui, en 1961 ou 1962, après la publication de Les bouts de bois de Dieu,
bien qu’il ait visité l’Union soviétique dès 1953.
JS : Mais je pense qu’il est rentré au Sénégal sans vouloir faire des films di-
dactiques, ouvertement idéologiques ou propagandistes. Il voulait plutôt faire
des films ancrés dans l’expérience africaine. Bien qu’ils aient des moments po-
lémiques dans lesquels les protagonistes prononcent parfois des discours, son
projet était de plonger les gens dans des histoires humaines, et non idéolo-
giques, ce qui était différent de l’approche soviétique.
SG : Alors que certains prétendent qu’il s’est rendu en Union Soviétique en
1961 pour apprendre le cinéma, ses visites antérieures dans ce pays et à Prague
avaient pour but de le préparer, lui, un intellectuel noir, à rejoindre le Parti
Communiste. Il a participé à des séminaires à Moscou organisés par le Parti
Communiste. Puis, en 1961, lorsqu’il choisit de se former à la réalisation de
films, il commence sans succès en France, jusqu’à ce que l’historien du cinéma
Georges Sadoul l’aide à obtenir une bourse pour fréquenter le Studio Gorki
30
avec Mark Donskoy …
31

