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              MTM : Se voir dans le texte et non pas comme l’objet de l’interprétation de
             quelqu’un d’autre...

             SG : Et qui, pour la première fois, a triomphé !
             MTM : Pour répondre à la question de Jason, sur un plan viscéral, qu’avez-
             vous ressenti sur le moment ?

             SG : J’étais fier et je croyais ce que je disais dans le film. Pour la première
             fois, j’étais fier d’être qui je suis. Je ne me sentais ni supérieur ni inférieur.
             J’ai senti que j’étais moi. Je me suis découvert dans le livre. Depuis l’âge de
             17 ans, je suis en quête de découvrir et d’apprendre davantage sur Sembène.
             Pendant mes études à l’Université de Dakar [1974-1982], personne n’a ensei-
             gné Sembène. J’ai découvert Sembène à l’Université de l’Illinois, Champaign-
             Urbana. Ironie du sort, notre film n’a été montré qu’une seule fois au Sénégal,
             car personne n’a voulu organiser une projection dans ce pays.

             MTM: Cela vous a-t-il également permis d’établir un lien différent avec votre
             propre peuple ?

              SG : Oui.

             mTm : La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo (1966), et en particulier Quei-
             mada ! (1969) de Gillo, ont été une révélation pour moi. Je me souviens avoir
             été dans un cinéma à New York et, à la fin de la projection de Queimada!
             d’avoir crié en sortant quelque chose sur la mort du colonialisme et l’ascension
             du tiers-monde.

             SG : De même, Les bouts de bois de Dieu a signifié pour moi, que l’unité afri-
             caine était une question de classe ; ce sont les gens qui se tiennent debout et
             qui se battent pour une cause commune que Sembène a embrassée.

             MTM : Solidarité.
             SG : La solidarité. Dans une interview avec Carrie Dailey Moore à Paris [en]
             1972, Sembène a dit : « Ma solidarité n’est pas une solidarité raciale, c’est
             une solidarité de classe ». Bien sûr, la race compte, mais il y a des bourgeois
             noirs qui exploitent les travailleurs noirs. Si je suis assis ici et que je parle
             avec vous aujourd’hui, c’est parce que Sembène m’a ouvert les yeux. Je suis
             l’incarnation vivante de ce qu’il pensait que l’art devait accomplir.
             MTM : Parmi les panafricanistes, où se situe Sembène ?
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