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pu pour survivre et s’est engagé pendant un certain temps dans le fondamen-
talisme islamique. En tant qu’enfant, Sembène a grandi en apprenant à négo-
cier des situations et, en un sens, à se réinventer.
SG : Beaucoup de gens de sa génération ont également vécu cela, mais je pense
que Sembène ne s’est pas réinventé de manière consciente avant Marseille. Ce
qui est aussi très intéressant, c’est que Marseille est en partie le sujet de son
premier roman et qu’il a été influencé par le roman Banjo de Claude McKay
[1929]. Il a observé comment les travailleurs noirs échappaient à leur déses-
poir dans l’alcoolisme et d’autres vices et a déterminé : « Je ne serai pas
comme ça, et ce qui empêchera cela, c’est le travail et la connaissance ». La
connaissance, c’est le pouvoir.
MTM : Les circonstances, l’expérience et la détermination.
SG : Exactement, ces trois-là.
JS : Et le quatrième, auquel le marxisme a contribué, est la conscience de soi.
SG : Je pense aussi que la protestation contre la guerre de Corée a fait de Sem-
bène ce qu’il est devenu jusqu’à sa mort, un homme d’action.
JS : Mais il était un homme d‘action quand il est arrivé à Marseille ; il n’avait
simplement pas la conscience.
SG : Oui, c’était la combinaison des deux. Jusqu’à Marseille, il n’était qu’une
force en mouvement ; à Marseille, il est devenu une force organisée en mouve-
ment pour le changement.
MTM : De l’individu au collectif.
SG : Et cela se reflète dans son travail.
JS : Parmi les écrivains et les cinéastes qui traitent de l’expérience de la classe
ouvrière, il est difficile de penser à un autre artiste majeur qui l’ait vécue, qui
ait fait l’expérience de la machinerie de l’exploitation comme Sembène l’a
vécue, et qui puisse parler des problèmes de la classe ouvrière comme il l’a
fait.
SG : Jack london a inspiré Sembène. Dans une interview au Maroc, après
avoir lu Martin Eden [1909], Sembène a dit : « S’il a pu le faire alors, je peux
le faire maintenant ».

