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             guerre au Niger où le sentiment était « Les hommes vont à la guerre. Les
             femmes restent à la maison ». Les hommes qui n’étaient pas enrôlés étaient ri-
             diculisés par la famille, et c’est pour cette raison que les hommes partaient à
             la guerre pour affirmer leur virilité. Sembène ne faisait pas exception à cet
             état d’esprit et, en tant que citoyen français, il était tenu de servir dans l’ar-
             mée.

             MTM : Conscrit.

             SG : Oui, et son père avant lui, qui était né à Dakar, était un citoyen français
             et avait donc également été enrôlé.
             MTM : La métropole, au sens large du terme, est-elle le lieu où les contradic-
             tions du racisme et du colonialisme sont les plus évidentes et distinctes de celles
             du colonisateur qui habite l’espace colonisé ?

             SG : Permettez-moi de partager une distinction plus marquante : L’Algérie
             était aussi un colonisateur, tandis que le Sénégal était qualifié de « colonisateur,
             exploitant ». Les relations qui y régnaient étaient entièrement fondées sur une
             relation d’exploitation. Il n’y avait pas de cohabitation comme dans le contexte
             algérien. Mais dans la métropole, Sembène a fait une énorme découverte :
             l’humanité du colonisateur.
             MTM : Et les contradictions et l’hypocrisie du projet démocratique lui-même.
             SG : Exactement! Ce dont il a été témoin, contrairement à ce qu’ils préten-
             daient, ce sont les contradictions de la métropole.

             JS : Il y a une courte scène dans le film où Sembène est interviewé et remarque :
             « J’ai découvert Mozart, c’était une richesse pour moi », et en contrepoint, on
             voit un travailleur africain portant un sac géant.

             MTM : C’était stratégique ?

             JS : Certainement et révélant à la fois les contradictions et la beauté que Sem-
             bène a vécues à Marseille. Alors qu’il avait des amis de toutes les couleurs, de
             toutes les ethnies et de toutes les classes sociales, il a travaillé comme esclave.
             En ce qui concerne le dos cassé, nous avons longtemps pensé qu’il serait un
             élément clé du film.

             SG : Oui, dans les versions précédentes.
             JS : Qu’est-ce qui, chez Sembène, lui a permis de ne pas désespérer, ce qui, à
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