Page 578 - Livre2_NC
P. 578

Michael T. Martin, Samba Gadjigo & Jason Sylverman/ Solidarité médiatisée   569

          JS : Peu de gens qui ont fait un travail physique dur pendant 20 ans ont écrit
         à ce sujet.

         SG : Et écrire tout en travaillant. Il n’a jamais cessé de travailler, même sur
         les plateaux de tournage, qu’il construisait avec des ouvriers. Je l’ai même vu
         creuser des trous.

         JS : Et il a construit sa propre maison.

         SG : Il n’a jamais cessé d’être un ouvrier.

         MTM : Parlons maintenant du déploiement des langues africaines dans les
         films de Sembène. Dans quel but ?

         SG : C’était son engagement et sa façon de rendre le cinéma aux africains. Si
         les films étaient sous-titrés, le public ne serait pas en mesure de les lire. S’ils
         étaient parlés en français, ils n’y auraient pas accès. Si Sembène n’a pas été
          le premier à faire un film en wolof, il l’a porté à un niveau supérieur et l’a
          rendu systématique. Depuis Mandabi jusqu’à la fin de sa carrière, tous ses
          films ont été réalisés en langues africaines et, en ce sens, il a créé une tendance
          et une norme. De nombreux cinéastes africains le font maintenant, du Nigeria
          et du Niger en haoussa, du Burkina Faso en mooré, du Mali en bambara et de
         la Guinée en peulh.

         MTM : Qu’est-ce qui se perd dans la traduction, en particulier dans la langue
          du colonisateur ? Est-ce seulement une question d’accès, ou aussi une question
          de sens ?

          SG : J’ai fait le sous-titrage de Moolaadé du jula au français et à l’anglais, et
         beaucoup de choses se sont perdues dans la traduction. Par exemple, le jula
         est une langue très colorée, parlée avec des proverbes, que vous ne pouvez ren-
         dre dans aucune autre langue. Les traductions permettent d’y accéder mais ne
         font qu’approximer le message principal. J’ai regardé Moolaadé dans une salle
         de cinéma à Ouagadougou et le public a réagi au film différemment des autres
          spectateurs parce qu’il entendait le dialogue dans sa propre langue avec toutes
          ses inflexions, ses métaphores et sa beauté. Ainsi, au mieux, vous pouvez trans-
          mettre le message principal dans une traduction, mais la saveur de la langue
          source est perdue.

          MTM : Fanon dit dans Peau noire, masques blancs : « Parler, c’est être en mesure
          d’utiliser une certaine syntaxe, de saisir la morphologie de telle ou telle langue,
          mais c’est surtout assumer une culture, supporter le poids d’une civilisation  ».
                                                                       23
   573   574   575   576   577   578   579   580   581   582   583