Page 37 - Rebelle-Santé n° 228
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RENCONTRE
L’an dernier, avec la sécheresse, des vignes ont brûlé. Comment percevez-vous les effets du réchauffe- ment climatique ?
Je pense que le changement climatique est à l’œuvre depuis que je me suis installée, mais il est visible depuis 2016. Il se traduit surtout par des périodes de sécheresse plus longues. Nous n’avons plus les pluies d’orages à la mi-août, ce qui fragilise la vigne et dé- séquilibre les raisins. De plus les dérives du greffage industriel conduisent à un appauvrissement géné- tique puisque les densités de plantations sont très éle- vées, entre 4000 et 10 000 pieds à l’hectare selon les régions viticoles. Avec le réchauffement climatique, tout se combine et s’accélère, on touche aux limites de la monoculture. Il faudrait tout désapprendre, car la pérennité de la vigne est gravement menacée. Peut-être même qu’en 2070, on ne pourra plus culti- ver la vigne en Languedoc. Pour l’instant, la parade, c’est l’irrigation, une perfusion alors que l’érosion prépare le désert. Le 28 juin 2019, nous avons eu un coup de chalumeau, plus précisément un coup de sirocco, un vent chaud, comme un sèche-cheveux, qui a grillé les vignes. J’en ai pleuré tout l’été, mais j’ai aussi pris conscience qu’il fallait trouver urgem- ment de nouvelles manières de cultiver la vigne. Sur la parcelle où j’ai construit ma cave bioclimatique en 2015, je démarre ce que j’ai appelé « un jardin expérimental de culture radicalement différente de la vigne pour la terre en Languedoc ». L’idée est de marier les vignes à des arbres de variétés différentes, fruitiers ou champêtres, pour réintroduire de la diver- sité et réapprendre les gestes qui ont disparu comme l’art de la greffe. Je n’achèterai plus un plan chez un pépiniériste.
Malgré cette menace la monoculture est encore lar- gement encouragée : quelles sont les dynamiques du changement ?
Dans le monde de la vigne, sans même parler des coopératives, il y a un certain nombre de puissants, des propriétaires de grands vignobles qui spéculent sur l’abandon de la vigne sur le pourtour méditer- ranéen en rachetant des terres plus au nord. Il n’y a surtout aucune réflexion fondamentale et on s’en- fonce dans le toujours plus du machinisme agricole, à grand renfort de technologie, guidé par cette idée de ne plus avoir besoin d’aller dans les vignes. Si on veut remettre de la diversité, il faut un changement de paradigme qui implique d’être dans les vignes physi- quement et investi en pensée tout le temps. C’est la mentalité de l’avoir qui accompagne la monoculture. On n’est pas dans les vignes, on a des vignes. Dans les familles viticoles ou paysannes qui ont hérité, il faut aussi imaginer combien la situation est terrible pour le fils de dire à son père qu’il a tout faux, c’est un déni
de ce qu’ils ont été. Le changement viendra des néo- paysans. À la marge, nombreux sont ceux qui pensent. Je ne suis pas la seule à aller vers l’agroforesterie et on se parle, on réfléchit ensemble. Pour soutenir mes investissements, j’ai créé un GFA (Groupement Fon- cier Agricole) en m’inspirant du modèle du Larzac. Il se compose maintenant de 85 associés. Leur aide n’est pas seulement financière. Ils portent la dimension es- sentielle de mes projets dans une aventure collective et ancrée sur le territoire, une quête du beau, donc du juste. Aujourd’hui, j’héberge la cuve d’un jeune voisin de vigne, l’alambic de deux jeunes américaines qui s’installent pour distiller de l’eau-de-vie et du gin. Si on veut propager les nouvelles pratiques de cultures, il faut créer des liens et des réseaux, des regroupements. Il y en a un à 25 km de Saint-Drézéry qui rassemble une dizaine de jeunes néo-paysans très dynamiques. On en trouve aussi dans les Pyrénées-Orientales, dans les vignobles les plus menacés, loin des villes et abandonnés car impossibles à travailler avec de gros engins. Là où sont mes vignes, les machines passent encore trop facilement !
Aujourd’hui, votre fils Nicolas travaille avec vous, comment s’organise la transmission ?
Pour être tout à fait franche, comme je le raconte dans « Ma part des anges » (2019), mes deux fils ont tou- jours travaillé avec moi. Quand Nicolas m’a dit qu’il voulait être vigneron, je l’ai envoyé faire ses classes ailleurs. Il est parti en Bourgogne. Maintenant, il tra- vaille avec moi, mais en réalité on confronte, on dé- friche, on réfléchit ensemble car, finalement, on en est au même point. Après le coup de chalumeau, il m’a aidée à trouver l’élan de repenser tout notre travail, et pour lui, comme il apprend au même rythme que moi, il n’est pas obligé de se glisser dans les pantoufles de maman. Il dit lui-même qu’il n’aurait jamais travaillé dans les vignes si j’avais travaillé en conventionnel. J’ai surtout réussi à lui transmettre une manière de trouver de la joie au travail, aux gestes, sans penser seulement au rendement, à la rentabilité, à l’argent et à remettre les choses en perspective.
Propos recueillis par Lucie Servin
LES LIVRES DE CATHERINE BERNARD
Dans les vignes - chroniques d'une recon- version, éd. Actes Sud Babel, 8 €.
Une place sur terre, éd. Rouergue, 14,80 €.
Ma part des anges, éd. les Ateliers d'Argol, 15 €.
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