Page 19 - Rebelle-Santé n° 215
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POUR FAIRE LE POINT SUR LE MÉTIER D’HERBORISTE, NOUS AVONS DONC RENCONTRÉ MICHEL PIERRE
Patron de la célèbre herboristerie du Palais Royal
(à Paris), Michel Pierre est l'auteur de nombreux livres sur les bienfaits des plantes et président du syndicat d’herboristes Synaplante.
Rebelle-Santé :
En résumant le paradoxe de votre métier, vous tenez une herboristerie sans être herboriste...
Michel Pierre :
Exactement. Le mot herboristerie est autorisé, mais le mot herboriste n'existe pas, car c'est un métier qui n'existe plus depuis 1941. Cela fait 46 ans que j'exerce le métier d’herboriste, et je dois dire entre guillemets le métier d'herboriste, car on ne reconnaît pas mes 46 ans d'expérience dans ce métier ! Métier que j'ai exercé avec l’ensemble des plantes médici- nales (Ndlr : il y en a plus de 500).
C’était possible car vous travailliez avec une herbo- riste qui détenait un diplôme obtenu avant 1941 ?
Oui. Pendant 25 ans, j’ai travaillé avec cette herbo- riste qui me couvrait juridiquement. Lorsque cette personne est décédée, j’ai continué, je n'ai pas baissé les bras. Je croyais être tranquille, en engageant des pharmaciennes. Mais cela n'a pas suffi à l'Ordre des Pharmaciens qui m'a attaqué pour exercice illégal de la pharmacie. Il y a eu un procès et on m'a interdit de vendre d'autres plantes que les 148 en vente libre.
Aujourd'hui, est-ce que ça a changé ?
Non, je suis toujours limité aux 148 plantes. Les autres sont réservées aux pharmaciens, les seuls qui ont le droit de les vendre. Le problème, c’est qu’ils ne les connaissent pas, car ils ne sont pas formés à cela. Ils commencent à s'y intéresser maintenant, car le tiroir- caisse risque de faire bling-bling. C'est donc un pro- blème de monopole, mais qu’ils n’exploitent pas.
Comment peut-on se former ?
Il existe cinq ou six écoles d'herboristerie en France. Elles sont très bien et dispensent des cours de haut niveau. Par contre, au bout de ces trois ans de cours, vous sortirez avec un « Bravo, vous avez le diplôme de l'école ! », mais vous n'aurez aucun diplôme officiel qui vous permette d'évoluer dans ce domaine. Vous avez des connaissances, mais sans être sanctionné par un diplôme reconnu de nos jours, alors que l'on délivre un certificat de compétences pour n'importe quelle profession, c'est ennuyeux.
Vous êtes Président du syndicat Synaplante. Que souhaite le syndicat pour la profession ?
Nous aurions souhaité le retour d'un diplôme d'her- boriste. C’était la solution la plus simple. Mais nous sommes en face de lobbys extrêmement puissants qui s’y opposent. C'est clairement l'Ordre des Pharma- ciens, puisque c'est lui qui a déposé des plaintes à tout-va ces dernières années. Les pharmaciens ont né- gligé le marché des plantes pendant 70 ans et, tout à coup, lorsqu’ils s’aperçoivent que le public est deman- deur, ils ne veulent pas que le marché leur échappe. Ils auraient pu créer depuis longtemps une licence pour s’instruire au sujet des plantes médicinales, mais ils ne l’ont pas fait. J'ai deux pharmaciennes dans mon her- boristerie. Quand elles sont arrivées, elles ne connais- saient rien aux plantes. Elles ont dû suivre trois années de formation à la faculté de Bobigny pour apprendre les plantes, et j'ai complété leur formation par mon expérience.
Vous dénoncez aussi d’autres absurdités...
Oui. Par exemple, le pharmacien est le seul habilité à vendre des plantes médicinales, mais il n'a pas le droit d'ouvrir une herboristerie, même si c'est lui qui la tient ! Autre absurdité, il y a sept ou huit ans, la DGCCRF, donc le protecteur du consommateur, a autorisé l’utilisation d’environ 500 plantes dans les compléments alimentaires – qui, au passage sont dé- sormais sérieux, contrôlés, bien faits. Sous l’impulsion de l'Italie, de la Belgique et de la France, une nouvelle liste va répertorier mille plantes autorisées pour être utilisées dans les compléments alimentaires. Le décret doit paraître. Nous avons donc le droit de vendre ces plantes sous forme de gélules, de liquide, de teinture, mais nous n'avons pas le droit de les vendre en l'état, en tant que plantes simples. On est donc dans la bêtise totale.
La mission sénatoriale sur l’herboristerie a rendu son rapport. C’est une réelle avancée ?
Oui, le travail de cette mission a quand même fait un peu bouger les choses. Mais pas sur le diplôme. Le rapport comprenait 40 propositions. Mais celle qui prévoyait de continuer les travaux en vue de créer un diplôme d'herboriste a été rejetée. C'est le résultat des lobbys. La présidente de cette mission était quand même une pharmacienne d'officine...
En tant que syndicat, comment faire avancer la ques- tion d'un diplôme reconnu ?
C'est extrêmement difficile de se battre contre les lob- bys pharmaceutiques. J'ai aussi une entreprise à faire vivre. Ce qu'il faut, c'est trouver une solution pour
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