Page 94 - Rebelle-Santé n° 198
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ÉDUCATION
PhiLiPPE NiCoLAS,
PortrAit d’uN ENSEiGNANt trAPPEur
Dans un livre passionnant*, Philippe Nicolas, insti- tuteur en banlieue parisienne, dévoile ses méthodes d’apprentissage et sa pédagogie philosophe inspirée de son expérience de pêcheur à la mouche et d’amou- reux des grands espaces canadiens.
« Que mon œuvre d’école soit garante de la biodi- versité ». En écho au projet de Frédéric Plénard, voilà douze ans que Philippe Nicolas applique sa méthode, inspirée de son expérience de trappeur, dans ses classes, un terreau fertile pour faire germer le lien à la nature, élever les consciences, en développant l’es- prit critique et l’estime de soi. Dans un livre, tenu à la manière d’un journal de bord, l’enseignant oscille entre son ressenti intime et ses expériences en classe pour mieux décrire au fil des pages sa conception de la pédagogie. Il a 49 ans. Né à Saint-Denis, il grandit à proximité de la ferme de son grand-père paternel, où il prend goût à la vie sauvage et à la pêche. Il est tour à tour technicien vétérinaire, berger, vendeur ani- malier aquariophile et soigneur de l’aquarium de la Porte Dorée. Il passe huit ans en tant qu’éducateur à la tête d’un atelier de pêche et nature dans un collège, où il reprend ses études en sciences de l’éducation. Fort d’un doctorat, il est nommé en 2004 professeur des écoles et achève sa formation au Canada, avant d’être affecté en ZEP dans une école élémentaire de Villeneuve-la-Garenne, dans les Hauts-de-Seine, une banlieue célèbre pour avoir la plus longue barre d’im- meubles de toute l’Europe.
Changement de décor pour un défi de taille lancé à cet ambassadeur des grands espaces, parachuté au milieu des grands ensembles urbains, dans cette zone défavorisée. Confronté à la violence de l’exclusion, au manque de concentration et d’attention d’enfants déracinés, élevés dans un environnement de béton, sacrifiés à la logique marchande et à la virtualité des écrans, l’instituteur relève tous les facteurs de déconnection de notre société face au vivant. « La biodiversité nous éduque à un savoir peut-être
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essentiel, celui de se sentir en charge de la vie », écrit l’enseignant. Peu à peu, dans la pratique, il parvient à mettre en œuvre ses principes, inspirés par cette voie atypique qu’il a construit, en piochant dans l’héritage des cultures des peuples premiers et les mots d’Élan noir, chef Sioux, ou encore Bosco, Giono et René Char. Formé à l’éco-savoir d'Anne Moneyron (1) et à l’école des éléments de Dominique Cottereau (2), en classe, concrètement, il met en place une pédagogie du faire, en montant chaque année des projets, comme ceux « des saventuriers » qui permettent de mobiliser les savoirs en immersion dans les écosystèmes naturels, avec une approche transversale et pluridisciplinaire. L’apprentissage est mis en situation dans le cadre de sorties d’intégration en pleine nature ou d’activités simples, comme planter des arbres, faire des cartes, dessiner à partir de l’observation, construire une cabane, autant de projets prétextes à l’éco-laboratoire, pour mettre en pratique la biodiversité, en conjuguant bon sens et plein air, support à l’éveil de la personnalité de l’enfant et à la prise de conscience de l’urgence écologique. Les rencontres avec des scientifiques, un fauconnier, mais aussi des Indiens du Canada ou Mundya le Papou, fournissent autant d’entrées aux multiples réalités du monde. Fort de ses résultats, il dénonce un système d’évaluation et de performance stérilisant et contreproductif qui empêche l’élève de se réaliser pleinement. L’occasion pour l’instituteur de remettre son rôle en question. Se considérant lui- même comme un maître accoucheur, sa classe se transforme en espace d’éveil, en cercle de parole, pour guider l’être élève vers son émancipation. En encourageant toutes les expressions singulières, il s’affirme en passeur philosophe et poète, « un révélateur de la joie à habiter le monde » dont la mission consiste à faire vibrer « ce quelque chose qui danse », à réenchanter l’école par l’initiation à la fraternité du vivant.	L. S.
(1) Auteure d’une thèse intitulée Transhumance et éco-sa- voir, Reconnaissance des alternances écoformatrices, elle a travaillé à partir des témoignages recueillis auprès des ber- gers transhumants des Pyrénées.
(2) Enseignante en sciences de l’éducation à l’environnement à Tours, Dominique Cottereau a travaillé pendant près de 10 ans dans un centre de classes de mer, en Côtes-d’Armor.
* Enseignant trappeur, pourquoi pas ! Quand la nature réenchante l’école
Philippe Nicolas. Éditions Le Souffle d’Or. 248 pages - 15 x 21 cm 16 €.
© Philippe Nicolas


































































































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