Page 52 - Rebelle-Santé n° 208
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ÉDUCATION
CULTURE
Costume de femme Hmong Noir (Muong Khuong - Vietnam) : veste, jupe et ceinture. Début du XXe siècle.
REBATTRE LES CARTES
Comme le souligne Julien Bondaz, ethnologue et spé- cialiste de la popularisation des savoirs ethnologiques, qui a dirigé l’excellent catalogue (1) lié à l’exposition, la professionnalisation de l’ethnologie dans les années 1920-30 en France a tout de suite été accompagnée par des publications vulgarisatrices à destination du grand public et des enfants, contribuant à forger paral- lèlement au cliché entretenu par l’imaginaire domi- nant, une voie plus scientifique dans les représenta- tions du monde.
Dans cet esprit, la collection des Enfants de la terre, du Père Castor, dont le fonds vient de rentrer au patri- moine de l’UNESCO, a été inaugurée en 1948 avec un premier récit écrit par Paul-Émile Victor, de retour d’une expédition arctique. L’idée pionnière de Paul Faucher, l’éditeur et le fondateur du Père Castor, était d’utiliser le support pédagogique de l’album ou du jeu pour rompre avec les catégories, libérer le regard et apprendre à découvrir l’autre pour se rendre compte à la fois des différences et des similarités. Cette collec- tion ne se limite d'ailleurs pas aux enfants des mondes extra-occidentaux et propose aussi Jean de Hollande, Antonio l’Italien, Grégoire paysan du Moyen Âge ou encore des enfants venus des territoires d'Outre-mer.
Julien Bondaz n’est pas dupe, poser dans une expo- sition la question du regard occidental sur le monde, c’est déjà proposer deux grandes catégories, l’Occi- dent et les autres. La cartographie est encore un des meilleurs moyens de conduire l’enfant à questionner le regard qu’il pose sur le monde. La carte fige une re- présentation, elle imprime une grille de lecture. Mon- trer des cartes médiévales, ou des cartes d’ailleurs,
proposer d’autres planisphères que ceux où l’Europe se trouve au centre permet de décaler un point de vue, centrer la terre sur les pôles ou les océans, travailler sur les projections, comprendre comment dans l’ap- préhension du lointain naissent les frontières qui des- sinent dans l’inconnu les monstres et les barbares. La relativité désamorce efficacement l’ethnocentrisme.
Alain Serres, auteur et éditeur, fondateur des éditions Rue du monde explique : « Nos responsabilités sont immenses. Ce qui est lu dans un livre pris à la biblio- thèque fait autorité dans la tête des enfants. Nous sommes tous porteurs, souvent de manière incons- ciente, des travers de nos sociétés qui, de plus en plus, découpent l’enfant en trois catégories limitées : l’enfant dans sa famille, l’écolier et le consommateur. Entre les lignes et les images se glissent des signifiants invisibles dont les enfants s’imprègnent malgré eux. Le meilleur moyen de lutter, c’est de proposer à l’en- fant une approche dynamique des représentations, permettre des allers-retours, des questions, des vides pour que tout ne soit pas dit et qu’il y ait des distances
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Alain Saint-Ogan Hachette - 1932
Blin, Kuhn et Ozouf Delagrave - 1948
© Musée du Quai Branly Jacques Chirac - photos Claude Germain
© Musée du Quai Branly Jacqeus Chirac
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