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ENVIRONNEMENT
de souveraineté alimentaire, ce n’est pas dans un es- prit nationaliste replié sur des intérêts franchouillards. Au contraire, ce sont toutes les nations du monde qui ont intérêt à ce que leurs paysanneries puissent vivre et travailler dignement au pays et nourrir par elles- mêmes leurs peuples sans être contraintes de migrer dans les bidonvilles avant de rejoindre la Méditerra- née ou la frontière mexicano-étasunienne.
Concrètement comment ça fonctionne ?
Face au réchauffement climatique, nous devons éco- nomiser au maximum l’énergie fossile. L’agriculture qui s’inspire de l’agroécologie scientifique évitera de promouvoir une agriculture extensive, qui exige- rait de toujours plus grandes extensions au détriment de la forêt en Amazonie, au Congo, à Bornéo... et des dernières réserves naturelles de biodiversité. En revanche, l’agroécologie fait un usage très intensif des ressources naturelles qui ne coûtent rien : l’énergie so- laire pour fabriquer l’énergie alimentaire, le carbone du gaz carbonique pour produire le sucre, l’amidon ou les huiles, l’azote de l’air pour nos protéines... Ça signifie une couverture verte maximale et la plus per- manente possible des sols dans l’année, grâce à des associations végétales qui se révèlent être de surcroît plus résilientes aux aléas climatiques extrêmes. Avec l’énergie solaire et le carbone de l’air, la plante pro- duit de l’oxygène, du sucre, de l’amidon, de l’huile, des pailles, des racines. Quand elles se décomposent, ces pailles et racines font de l’humus qui séquestre du carbone dans le sol. Mais pour capter le carbone de l’air, la plante doit être correctement alimentée en eau, c’est pourquoi la gestion de l’eau est déci- sive. Nous devons arrêter de puiser dans les nappes phréatiques, il faut emmagasiner l’eau de pluie dans les sols. On va remettre des haies, des pommiers dans la prairie. La couverture végétale empêchera l’eau de ruisseler sur les plus fortes pentes. On évitera le la- bour qui a tendance à oxyder le carbone de l’humus, mais le sol deviendra poreux grâce aux vers de terre et au respect de la biologie des sols. Au lieu d’utiliser les engrais azotés de synthèse, très coûteux en éner- gie fossile, on profitera des 79 % d’azote dans l’air, en plantant des légumineuses, ces plantes capables, grâce aux microbes, de fertiliser le sol en azote pour la culture qui viendra après. Les arbres aux racines profondes tireront les éléments minéraux libérés par
la roche-mère altérée (le granite, le grès, le schiste... ) en sous-sol tandis que les champignons mycorhiziens débusqueront ceux coincés dans les argiles.
Ça veut aussi dire davantage de paysans ?
Oui, c’est une agriculture exigeante en travail, inten- sive en emplois. Promouvoir en France, où il y a 8 % de chômeurs, une agriculture pourvoyeuse d’emplois ou redynamiser l’agriculture dans les pays où les gens quittent leur terre pour s’entasser dans les bidonvilles n’est pas un mal. C’est pourquoi il faut aider à l’instal- lation de nouveaux agriculteurs qui s’engagent à nour- rir les villes durablement, en étant eux-mêmes correc- tement rémunérés. Cette rémunération peut provenir du prix de vente plus élevé de leurs produits, mais pour rendre ces produits accessibles aux couches modestes, il faut également rémunérer les services environnementaux que ces agriculteurs rendent à la collectivité.
Une des critiques que vous adressez à l’agriculture conventionnelle est de ne pas prendre en compte les coûts de toutes les « externalités négatives ». Comment évaluer ce coût pour la société ?
L’agriculture conventionnelle s’inspire du modèle in- dustriel. Elle a conduit à la spécialisation excessive des systèmes de culture et d’élevage, pour amortir au plus vite les investissements en agrandissant les surfaces et les troupeaux. La production de masse à moindre coût s’est révélée performante. Néanmoins, le prix fixé sur le marché monétaire ne prend pas en compte de nom- breux coûts engendrés pour la société. Le lait pas cher se paye dans les impôts que nous payons pour le net- toyage des algues vertes sur le littoral breton, le pain pas cher nous coûte très cher pour enlever l’atrazine dans l’eau du robinet. Quant aux coûts sanitaires, ce n’est pas mesurable, avec les maladies et le mal-être qui accompagnent les pollutions et la dégradation des cadres de vie. Le prix des produits sur le marché résulte des coûts directs dans les filières de produc- tion sans jamais considérer les effets collatéraux. Or, l’ignorance de ces effets collatéraux conduit à des erreurs dramatiques. Une vache produit du méthane, un gaz vingt-huit fois plus réchauffant que le gaz car- bonique. Mais si cette vache a pu pâturer une prai- rie artificielle riche en luzerne sur un terrain où on a pu ensuite planter des betteraves ou des pommes
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