Page 36 - Rebelle-Santé n° 225
P. 36


Lucie Servin
de terre sans engrais azotés de synthèse très émet- teurs de protoxyde d’azote – un gaz 300 fois plus réchauffant que le CO2 –, la production de lait peut apparaître comme un contributeur à l’atténuation du réchauffement climatique global. Tel est bien l’intérêt d’avoir une vision systémique : c’est comme un im- meuble, rien ne sert d’étudier en détail chacune des briques, si on n’envisage pas d’abord les interactions entre ces briques au sein de la structure d’ensemble.
La surface des terres cultivées en bio en France est de 7,5 %, pour 10 % des agriculteurs, ça reste très minoritaire...
L’agriculture biologique est portée par un mouvement spontané des consommateurs, malgré la relative sta- gnation de leur pouvoir d’achat. La consommation de produits bio connaît une croissance annuelle à deux chiffres depuis 5 à 6 ans, mais l’offre ne parvient pas à répondre à cet accroissement de la demande, si bien que la grande distribution importe de façon croissante des produits bio. Il faut surtout maintenant permettre à toutes les couches de la société de profi- ter d’une alimentation plus saine, à commencer par les enfants et les adolescents, qu’on doit préserver des perturbateurs endocriniens et des antibiotiques. L’urgence, c’est que les cantines dans les écoles, les collèges, les lycées soient bio. Pour que le surcoût des produits bio ne soit pas imputable aux usagers dans ces cantines, tout en rémunérant correctement les producteurs, je proposerais volontiers de piocher dans les subventions de la PAC : ça représenterait 1,6 milliard d’euros, sur les 9 milliards que donne la PAC chaque année. Le reste pourrait servir à rémuné- rer les services environnementaux et les produits bio pourraient alors ne pas être vendus trop chers pour l’alimentation à domicile.
Cette transition agroécologique ne se heurte-t-elle pas à la disponibilité des terres agricoles ?
C’est un vrai problème. Il faut absolument éviter de bitumer les meilleures terres agricoles comme cela était envisagé avec l’aéroport de Notre-Dame des Landes, ou le projet d’Auchan dans le triangle de Gonesse. Aujourd’hui, les subventions de la PAC sont distribuées en proportion du rendement à l’hectare, ce qui incite les agriculteurs à agrandir les surfaces exploitées. Heureusement qu’il y a des associations comme Terre de Liens, qui acquièrent des terrains pour les louer en bail emphytéotique, c’est-à-dire avec un droit d’usage à vie pour les bé- néficiaires, en échange d’une agriculture bio. Ils y arrivent. Les élus territoriaux sont aussi plus informés aujourd’hui et peuvent intervenir auprès des SAFER (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural). Pour inverser la tendance, il faut militer, en montrant qu’on peut faire autrement, car la meilleure
36 Rebelle-Santé N° 225
dénonciation consiste à démontrer qu’il y a des alter- natives possibles.
Quels espoirs nourrissez-vous pour demain ?
Je suis techniquement optimiste sur la capacité d’une agriculture inspirée de l’agroécologie à nourrir du- rablement et correctement l’humanité tout entière, même si politiquement j’ai beaucoup de raisons d’être pessimiste. L’important, c’est de rester mobi- lisé. En tant que citoyen, même si je trouve que notre démocratie participative a d’énormes défauts, je plaide le plus fréquemment pour le respect des lois, même lorsque je les désapprouve. Pourtant, je suis bien forcé de reconnaître qu’en France et heu- reusement, s’il n’y a pas de culture d’OGM standard, c’est parce qu’il y a eu le mouvement des faucheurs volontaires. La désobéissance civile peut donc être efficace si elle peut être légitimée et soutenue par une immense majorité d’opinions favorables. C’est cette opinion qu’il faut convaincre.
Entretien réalisé par Lucie Servin
  À lire
• L’agroécologie peut nous sauver, Olivier Le Naire et Marc Dufumier, Éditions Actes Sud, 176 pages, 18,50 €. Version numérique : 13,99 €. Une série d’entretiens dans lesquels Marc Dufumier retrace son parcours, expose sa pensée et fait ses dix propositions pour accompagner la révolution agroécologique de nos systèmes de production.
• De la Terre à l'assiette - 50 questions essentielles sur l'agriculture et l'alimentation, Marc Dufumier, Allary éditions, 233 pages, 18,90 €. Version numé- rique : 12,99 €. Des réponses précises et claires à destination de tous les consommateurs pour une alimentation saine et la protection de la planète.
   



















































































   34   35   36   37   38