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ÉCOLOGIE ET SOCIÉTÉ
Sylvain Péchoux
périmètre de notre action pour relocaliser une agri- culture biologique en Île-de-France, c’est la forma- tion de nouveaux paysans. Or, en quelques géné- rations, les métiers paysans ont été complètement dévalorisés à tel point que, dernièrement, même les enfants d’agriculteurs n’ont plus envie de reprendre la place de leurs parents. Pourtant, si on souhaite une agriculture biologique nourricière et de proxi- mité, demain, il faudra des gens dans les champs. C’est pourquoi nous travaillons désormais égale- ment sur la médiation auprès des publics scolaires ou des conseillers pôle emploi, pour faire connaître ces métiers en les rendant désirables.
• Comment rendre attractif le métier de paysan ?
Il n’y a pas de secret, pour rendre ces métiers attrac- tifs, il faut les rendre viables en proposant notam- ment des modèles alternatifs pour l’installation des nouveaux agriculteurs. Même si cela choque cer- tains, on aimerait faire du métier de paysan un mé- tier « comme les autres », en agissant sur le temps de travail (travail à plusieurs, coopération), sur les revenus (valorisation en circuits courts, diminution des charges de production), et en sortant de l’idée de « vocation ». Le métier de paysan est évidem- ment porteur de sens, mais il faut aussi qu’il puisse être envisagé comme une étape de vie, qu’il y ait au besoin une porte de sortie. C’est indispensable. Les statuts d’entrepreneurs salariés au sein de la coopérative permettent de bénéficier d’une meil- leure couverture sociale et d’une retraite décente. Les paysans associés ne sont pas propriétaires et n’ont pas la charge de leurs outils de production. On sort d’une vision patrimoniale de l’agriculture qui constitue un vrai obstacle à la transmission des
fermes aujourd’hui. S’ils veulent arrêter leur activi- té, ils récupèrent leurs parts sociales, rendent l’ou- til de production à la coopérative qui le confiera à un autre entrepreneur et, comme ils ont cotisé, ils peuvent toucher leurs allocations chômage le temps de réfléchir à un nouveau projet et en tout cas sortir de l’agriculture de manière non drama- tique. Le taux de suicide chez les agriculteurs nous rappelle chaque jour que cette réversibilité est loin d’être la norme...
Quels sont les avantages du système coopératif ?
Le pari des Champs des Possibles, c’est de faire de l’agriculture un métier d’avenir. Pour réussir, il faut que tout le monde s’investisse. C’était d’ailleurs l’idée du réseau des AMAP au départ. Ce défi socié- tal ne peut pas uniquement reposer sur les épaules des agriculteurs producteurs, il implique aussi les consommateurs, les réseaux de distribution et de vente, les collectivités territoriales et les gestion- naires d’espaces naturels comme l’ONF. Le statut de la coopérative nous permet de rassembler au ca- pital tous ces acteurs au sein de la même entreprise partagée. Quand on décide de nouveaux investis- sements comme l’achat de matériel par exemple, tout le monde participe. Bien sûr, au niveau de la gouvernance, prendre les décisions à plusieurs est toujours plus compliqué qu’avec un décisionnaire unique, mais pour préparer l’avenir, il est néces- saire de travailler ensemble.
• Quels sont les projets des Champs des Possibles pour 2020 ?
Historiquement, nous avons surtout œuvré au ni- veau de la production agricole. Aujourd’hui, nous avons ouvert la coopérative à d’autres métiers. Nous allons bientôt accueillir de nouveaux profils pour faire de la transformation alimentaire comme des conserves ou des sorbets. En plus des AMAP, nous visons d’autres types de commercialisation, comme la vente à la ferme, les coopératives de consom- mateurs ou les épiceries bio pour pouvoir toucher un autre public, et nous développons des missions d’accompagnement auprès des collectivités pour mettre en place des programmes alimentaires sur le territoire. Nous devons également consolider notre modèle économique pour permettre le développe- ment de nouvelles activités : en effet, l’agriculture, même biologique, nécessite des investissements conséquents. Après 10 ans, il est également temps de faire un peu mieux connaître notre action, ainsi, nous organisons nos « 10 + 1 ans » les 5 et 6 juin 2020, à la ferme de Toussacq, pour rencontrer le public, les professionnels, et on l’espère, susciter toujours plus d’envies d’aller vers l’agriculture.
Rebelle-Santé N° 223 45
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