Page 15 - Rebelle-Santé n° 195
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RENCONTRE
La tragédie du Perroquet une bande dessinée pour témoigner de la bipolarité
Sur la couverture, un perroquet qui ne ressemble pas à un perroquet. Dans le plumage gris se des- sine un petit garçon triste sous la menace de l’œil
rouge et fou du volatile. « Ma mère est une énigme », confie Espé qui recompose son histoire autour de cet objet symbole, le perroquet, une peluche chérie en feutrine informe, mal fichue, mal cousue, que l’enfant conserve en souvenir d’une maman arrachée à lui par la maladie. À 42 ans, le dessinateur est surtout connu pour son trait réaliste, notamment à travers la série Châteaux Bordeaux, une saga familiale dans le vignoble bordelais scénarisée par Corbeyran. Dernièrement il signait L’île des justes, avec Stéphane Piatzszek, un one-shot historique sur les juifs sau- vés par la déportation en Corse pendant la Seconde Guerre Mondiale. Pour la première fois, il dessine sur son propre scénario dans un style fantastique et ex- pressionniste, projetant l’expérience intime de la ma- ladie de sa mère souffrant d’un trouble bipolaire, dans le regard d’un enfant d’une dizaine d’années, Bastien. Une autofiction tendre et émouvante pour peindre au quotidien la réalité d’une maladie mentale à la fois ordinaire et méconnue, et briser le tabou d’un mal encore incurable et parfois mortel. Rencontre.
Vous vous êtes inspiré de votre expérience person- nelle pour écrire cette bande dessinée, il ne s’agit toutefois pas d’un récit autobiographique. Où s’arrête la vérité et où commence la fiction ?
espé : Ma mère est tombée malade au moment de ma naissance. Elle n’avait que 19 ans à l’époque et j’ai toujours cherché un moyen de raconter sa maladie et de rendre compte de mon expérience d’enfant. C’est un sujet difficile et je ne savais pas vraiment com- ment m’y prendre. Aujourd’hui, elle est toujours en vie et enchaîne les cures et les centres, sans que je ne constate de véritable évolution de son état. Il y a quatre ans, une cousine dont j’étais très proche s’est suicidée après de très nombreuses phases dépressives sévères et ce deuil a agi en moi comme un déclic. L’envie d’écrire ce livre qui me hante depuis plus de trente ans, s’est transformée en un devoir de témoigner sur cette maladie. En même temps, je ne voulais pas rendre compte uniquement de mon expérience per- sonnelle, l’autofiction me libérait des contraintes au- tobiographiques trop intimes. Les troubles bipolaires touchent énormément de monde, peut-être 1 à 2 %
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