Page 83 - Afrique Foncier juillet 2020
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Togo

               droits successoraux de la femme au foncier : « Dans   œuvre.  La  difficulté  majeure  est  la  dualité  du
               nos  contrés,  dans  nos  villages,  la femme  n’avait   régime  juridique  du  foncier  :  un  régime  relevant
               pas accès à la terre même pour l’exploiter. Toute   du droit moderne qui côtoie, sans pouvoir réussir
               femme qui ose réclamer son droit d’accéder à la   à l’éliminer, le droit coutumier qui est encore très
               terre meurt sur le champ (...). J’avoue que le début   vivace.  Somme  toute,  nous  pouvons  dire que  la
               n’a pas du tout été facile. J’ai reçu la délégation de    réforme agro-foncière initiée en 1974 n’a pas eu un
               certains  Chefs  de  villages  qui  m’ont  signifié  qu’ils   impact positif sur l’accès des Togolais à la terre en
               viendront  enlever  le  drapeau  national  (symbole   général et particulièrement les femmes pour des
               de  reconnaissance  du  titre  de  Chef  canton,  ndlr)   raisons liées aux pratiques coutumières.
               si je m’entête à sensibiliser leurs sujets sur le droit   Aussi convient-il de rappeler que dans la plupart
               d’accès de la femme  à la terre, un concept aux   des coutumes  togolaises,  la terre est un bien
               antipodes des traditions », nous a-t-il confié.    collectif, appartenant à la famille. Seuls l’usage ou
                                                               l’exploitation est individuels. A la mort du premier
               Dans  la  tradition  Ouatchi  en  générale,  la  femme   propriétaire, les terres que ce dernier exploitait
               qui veut  posséder la  terre  doit se  l’acheter  elle-  sont  transmises  à  ses  héritiers  et  l’héritier par
               même », a précisé Togbui Kalipé IV, Chef canton de   excellence est le garçon, jamais la fille.
               Vo qui a relevé cependant que les mentalités ont   Il arrive souvent qu’avant sa mort, l’auteur commun
               évolué bien avant le démarrage du projet EWOH2 :   interdise  tout  partage  en  pleine  propriété de la
               « C’est depuis 1973 que la famille Kalipé (princière,   terre et en confie la gestion à son fils aîné.
               ndrl)  a  distribué  équitablement  les  terres  entre   En juillet 2009, WILDAF Togo a réalisé une étude
               les femmes et les hommes. Les filles ont pris cinq   sur la politique foncière  et l’accès des femmes  à
               parcelles et les garçons en ont pris cinq aussi. Ce   la terre. Les résultats  de cette étude ont révélé
               qui a fait tache d’huile dans la ville de vogan  et   de façon globale que 84,8% des héritiers de droit
               depuis  lors,  les  femmes  ont  commencé  à  avoir   de propriété foncière sont des hommes et 15,2%
               accès à la terre », a-t-il souligné.            seulement sont des femmes.
                                                               Le Consultant du Cabinet ADA Consulting, Célestin
               De toutes les localités, Doufelgou  a une       Ayao M.  Sanvee,  informe  qu’en  2016  seules   de
               particularité. La fille a droit à la terre au même titre   27,72% de femmes contre 72,28% d’hommes ont
               que le garçon : « Dans  notre canton,  la pratique   accès à la terre. Dans ce lot,  25,5% ont la capacité
               coutumière voudrait qu’on donne un lopin à la fille   d’acheter les terres pour mener des activités
               mariée pour qu’elle l’exploite en vue de subvenir   agricoles, 59,56% louent la terre et 80,7% l’acquiert
               aux besoins de ses enfants. Cependant, elle n’a pas   par usufruit. « La recommandation, était d’accentuer
               le droit de vendre une parcelle de la terre qu’on   les sensibilisations pour un accès sûr et équitable
               lui a cédée. Malheureusement cette pratique tend   aux ressources et à la terre avec un accent mis sur
               à  disparaitre.  Les  hommes  rechignent  à  céder la   les renforcements de capacité à l’endroit de tous
               terre à leurs sœurs au motif qu’elles doivent en   les acteurs notamment la chefferie traditionnelle,
               bénéficier auprès de leurs familles conjugales », a   les maires, les préfets,  les leaders d’opinion, les
               relevé Djadja Dalakéna, Chef canton de Baga, une   politiques, la société civile, les médias et surtout les
               localité située à 30 Km au nord de Kara..       femmes leaders, les femmes d’opinion à prendre
                                                               connaissance des droits de la femme », poursuit-il.
               Primauté du droit coutumier                     Ces  résultats  dénotent  clairement  que  les
               Au  Togo,  la  terre  est  un  bien  susceptible   contraintes d’ordre social et financier ne favorisent
                                                               pas  l’accès  sécurisé  des  femmes  aux  terres  en
               d’appropriation par voie héréditaire.  L’acquisition   milieu rural.
               de la terre par voie successorale fait essentiellement
               appel  à  l’application des  règles  coutumières,  qui
               posent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.   Un cadre légal favorable au droit de la
               Face  aux  insuffisances  des  règles  coutumières,   femme à la terre
               l’Etat a dû intervenir par des lois et règlements, en   Dans les régions touchées par le projet EWOH2, les
               matière foncière.                               filles  demeuraient  exclues  du  partage  des  terres
                                                               du défunt. En ce qui concerne les terrains ruraux
               En effet, à la suite de la réforme agraire opérée par   elles  étaient  souvent  écartées  de  la  succession
               l’ordonnance du 6 février 1974, les efforts déployés   afin d’éviter que les biens fonciers ne sortent du
               pour établir un système moderne d’enregistrement   patrimoine de la famille paternelle. La terre étant
               des terres ont donné des résultats  limités.  La   dans  leurs  coutumes,  un  bien  collectif,  la  fille  en
               procédure étant  longue  et  coûteuse,  la  majorité   se mariant introduirait des étrangers (ses enfants)
               des ruraux n’a pas les moyens  de la mettre en   qui viendraient  déposséder  la  collectivité  de


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