Page 30 - Penser et faire son son enseignement V1
P. 30

 Enjeux politiques et éducatifs Nous vivons dans un monde pluriel et complexe
Aujourd’hui les femmes et les hommes vivent dans une société globale où les flots d’informations, parfois multiples, rendent difficiles la capacité de chacun à cerner les difficultés et la compréhension objective des problèmes posés. Certains dogmes, ou certitudes, ne permettent pas le plus souvent de cerner les enjeux principaux. Aujourd’hui, la distinction entre le réel et le virtuel soulève même quelques interrogations. Si quelques contextes du quotidien peuvent se révéler parfois peu porteurs de sens, Michel Fabre invite à l’inversion des raisonnements en aidant l’élève à traiter la “problématicité”, c’est-à-dire à caractériser ce qui est réellement problématique, pour construire ses compétences dans sa relation au monde et non en dehors de celui-ci.
Comment aider les élèves à construire des connaissances à l’école ? Comment aider les élèves à mobiliser et réactiver ces connaissances pour affronter des situations nouvelles et complexes de la vie ? Et comme le souligne E. Morin, “il faut apprendre à naviguer dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitudes”. Alors comment aider les élèves à affronter les incertitudes ?
Quels enjeux pour l’école : être ou avoir ?
La mission de l’école s’inscrit résolument dans une vision à long terme, avec une idée de l’homme et du citoyen à éduquer et à instruire dans la société d’aujourd’hui pour demain.
Il s’agit de permettre aux individus de devenir des sujets libres, capables de prendre leurs pensées comme objets de pensée pour se défaire de leurs croyances ou de leurs ignorances. Pour permettre cela, Michel Fabre dit qu’il faut “apprendre à douter”. C’est un enjeu fondamental pour les adultes de demain que de se construire un jugement autonome et nuancé, et se protéger des idées préconçues, des a priori, de conquérir et d’exercer ainsi progressivement sa liberté et son statut de citoyen responsable (Socle commun de connaissances, de compétences et de culture 2015). Cela nécessite de se mettre à distance des pratiques, et d’aider les élèves à prendre du recul sur les choses. Le rôle de l’école est alors d’apprendre aux élèves à identifier des catégories de problèmes, les résoudre en réactualisant et en mobilisant leurs connaissances en temps utile, au moment opportun et à bon escient. La définition officielle du terme de compétence ainsi est rappelée ici.
Déjà Montaigne (1533 – 1592) faisait la différence entre une tête bien faite et une tête bien pleine : “Savoir par cœur n’est pas savoir” disait-il, cherchant plutôt à “apprendre à penser” à l’enfant. Car de toute évidence, le temps passé à l’école ne suffit plus pour acquérir tout le savoir dont les individus ont besoin pour vivre et travailler, et ce d’autant plus que le savoir est aujourd’hui disponible partout et tout le temps grâce aux outils numériques. L’école doit donc rompre avec l’idée d’empilement des savoirs et reconstruire le sens de son action éducative. Elle doit préparer les élèves à une société en mutation constante, de plus en plus complexe, à un marché du travail de plus en plus exigeant afin de contribuer à leur épanouissement personnel, à leur intégration sociale et professionnelle.
Face à ces exigences, il semble nécessaire de repenser le paradigme de l’école et de faire évoluer d’une part le travail des enseignants et d’autre part le travail des élèves. Ainsi, problématiser et enseigner à problématiser est devenu un enjeu de notre ère moderne car il est un apprentissage visant l’émancipation et la socialisation qui permettent à un individu de vivre pleinement. Ainsi, vivre une acculturation tout en ayant un regard critique et distancié dessus favorise une insertion dans la société tout en gardant une part de libre arbitre au regard des normes socioculturelles.
Quel paradigme pour l’éducation ?
Il serait possible de considérer que l’enseignement d’aujourd’hui est finalisé par la structuration d’une conduite adaptative, c’est-à-dire qui vise le développement d’un potentiel de traitement de situations transférables d’un contexte disciplinaire à un autre. Cet enseignement fournirait aux élèves les outils nécessaires pour les rendre autonomes dans leur capacité à apprendre tout au long de leur vie. Ce postulat, pour être valable, nécessite que les connaissances construites soient solides et qu’elles puissent s’actualiser dans une même catégorie de situations. Cette conduite adaptative ne peut donc pas se faire “à bon marché” car, dans l’absolu, l’individu pourrait s’adapter sans se transformer pour autant. Ici, l’idée est de viser une conduite adaptative de haut niveau qui se traduit par une transformation profonde et durable des conduites et des représentations de l’élève.
Pour permettre cela, les contenus d’apprentissage sont alors moins définis en termes de produits que de processus et d’opérations à mener par les élèves dans une situation définie. Ces contenus d’apprentissage renvoient à des savoirs problématisés, c’est-à-dire des savoirs connectés à un problème ciblé soumis aux évolutions des réflexions individuelles et collectives. Ils se déclinent dans le domaine des savoirs disciplinaires raccrochés à une pensée non pas cloisonnée et, au contraire, adaptative.
Ici, il n’est pas possible d’enfermer l’apprentissage dans une vision qui pourrait paraître strictement utilitaire. Apprendre, c’est aussi construire du sens pour rendre lisible et intelligible le monde. La joie de comprendre devient alors un enjeu fort pour faire naître le désir et le plaisir d’apprendre seul et en groupe.
Ainsi, en même temps qu’une quantité de savoirs à transmettre, il s’agit d’acquérir une attitude qui consiste à développer sa curiosité, à questionner le monde, et à interagir. L’émancipation et l’autonomie sont alors au cœur du processus de construction de l’élève parmi d’autres. Le paradigme de l’éducation valorise aujourd’hui une nouvelle manière d’être, de se mettre en “je”. Ce n’est pas tant posséder une quantité de savoirs que de développer une attitude critique face aux problèmes présentés.
30
Problématiser l’activité des élèves




















































































   28   29   30   31   32