Page 23 - Daily Rock #129
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FIONA APPLE
Fetch the Bolt Cutters
Sony Music
Après huit ans de presque silence (elle
a posé sa voix sur quelques morceaux
par-ci, par-là), c'est par hasard que
je découvre que la bouillonnante
et excentrique Fiona Apple sort un
nouvel album. Elle qui avait cartonné
d'emblée avec 'Tidal' et surtout le
miraculeux 'When the Pawn' sort un confinement-album, numériquement en
tout cas (à l'heure où tous reportent la sortie du leur), sans toute la machine
médiatique. Les réseaux sociaux fonctionnent très bien pour pallier à tout cela
finalement. ‘Fetch the Bolt Cutters’ (littéralement 'Récupérer les coupe-boulons!')
a parfaitement traversé l’Atlantique pour se faufiler dans nos oreilles avides. Et
comme à chaque sortie, on se demande quelle lubie lui a traversé l'esprit. Autant
le dire tout de suite, ‘Fetch the Bolt Cutters’ n’est pas un album immédiat. Il faut le
mâcher, l’avaler, le ruminer, le régurgiter pour l’apprivoiser. C’est de cela que sont
faits les grands disques dit-on. Cet album est, si on devait l’imager, un coup de
poing dans la face. Une version brute de décoffrage de statues musicales parfois
majestueuses. Rien d'étonnant de sa part, elle qui navigue souvent à contre-
courant depuis toujours. Fiona Apple ne chante plus beaucoup, elle parle, crie,
vocifère, grogne, répète beaucoup ses paroles comme pour mieux nous les faire DAVID BOWIE
entendre. Bien sûr, lorsque sa voix grave et habitée anime des mélodies inspirées LiveandWell.com
avec des paroles frontales et sans complaisance, des picotements envahissent Parlophone Records
le ventre. Fiona Apple est une chanteuse expressive. On l'entend sourire ou se
fâcher derrière son micro. Dans cet album fait en télétravail avec les moyens du Après ChangesNow, premier volet
bord (ustensiles de cuisine et chiens y compris), on déniche plein de trouvailles plutôt pas mal d’un vibrant hommage
incroyables tels ces rythmes fouillés qui s'imposent comme un personnage à David Bowie sorti en avril dernier,
principal de cet album ('Newspaper', 'On I Go'), ces ballets vocaux jubilatoires voici donc la suite, LiveAndwell.
('Hot Knife', 'For Her'), ces morceaux envoûtants ('Heavy Balloon'), ces beautés com. Beaucoup plus punchy, plus
fulgurantes ('Shameika'). Les mélodies jazzizantes des débuts ont passablement expérimental peut-être, mais quoi
disparues. Des vestiges persistent cependant sur ‘Cosmonauts’ ou, ‘I 'Want you to qu’il en soit, un somptueux recueil de
Love Me’. Cet ultime album est un vrai cabinet de curiosités. ' Kick me under the douze titres live enregistrés pendant
Table all you Want I won't Shut up' répète-t-elle dans le morceau final 'Under the le Earthling Tour 1997, dans quelques-
Table', on la croit sans peine et on l'espère de tout coeur. 'Fetch the Bolt Cutters' unes des meilleures salles de concert
EST un grand album. [JM] du monde comme le mythique Paradiso
www.facebook.com/fionaapple/ d’Amsterdam, ou le Metropolitan à Rio.
Un David Bowie au top de sa créativité
et de sa forme, savamment entouré de
pointures comme Reeves Gabrel (The
Cure), Gail Ann Dorsey (incontournable
ULVER bassiste ayant joué avec les plus
Flowers of Evil grands), Zack Alford (batteur alien
House of Mythology des B52’s) et Mike Gardson (Nine
Inch Nails, St Vincent, Smashing
Il faudrait un papier entier pour ne faire Pumpkins). Des enregistrements
qu'effleurer la complexité, l'imagination et le inédits, uniquement disponibles à ce
caractère délibérément déroutant de l'univers jour pour les abonnés de BowieNet.
ulverien. Dès leurs débuts, les Norvégiens Des titres plus confidentiels que par
rassemblés autour du chanteur Kristopher exemple le fameux Starman. Une
Rygg se sont faits un devoir de gangbanger facette à l’état brut du phénomène
les normes et conventions, qui ne manquent Bowie. À situer entre la trilogie
guère dans l'univers souvent convenu et berlinoise ‘Low’, ‘Heroes’ et ‘Lodger’,
monotone du metal. En bientôt trente ans de carrière, avec pratiquement un indispensables albums nés du fruit
album ou une collaboration balancée à la face du monde tous les deux ans, ils de sa collaboration avec Eno, et son
reviennent avec une nouvelle livraison cette année, au titre plus que baudelairien. épopée avec Tin Machine. Du vieux, du
Une exécution toujours irréprochable, mais que certains pourront trouver un neuf, du hyper branché, de la distortion,
peu trop contemporaine à leur goût, dans la mesure où elle semble succomber à de la guitare bien rock, des p’tits coups
l'artificielle nostalgie des années huitante et de sa froideur couleur néon. d’acidité aux claviers, et cette voix
En ouverture, 'One last dance' aurait pleinement sa place chez un De/Vision enivrante, du plein la gueule quoi ! Du
époque 'Subkutan', sans le moindre élément rappelant leur lointain passé pur Bowie… D’ailleurs, cherchez pas,
blaquemétaleux. A sa suite, 'Russian Doll' enfonce le clou dans ce cercueil fluo, ce mec a toujours été non seulement
quelque part entre Tears for Fears et Depeche Mode. où on ne l’attendait pas mais aussi à
L'ensemble des huit titres, tantôt dansants, tantôt glaciaux, s'articule comme un la pointe du hype. Toujours en avance
exercice de style rétro de haute facture mais d'une inventivité fatalement limitée, sur son temps, comme un Jean Genius
respect de l'orthodoxie oblige. Un titre alternatif correct aurait pu être : "La sorti d’une lampe magique. Même
décennie Reagan/Gorbatchov à ceux qui ne l'ont pas vécue". Une variation sur le après avoir rejoint les étoiles, p… de
thème électro minimaliste réussie sur la forme - parce qu'elle évite l'écueil d'une blacks stars, il réussit encore à nous
simple compilation de reprises d'époque - , qui bercera efficacement votre solitude surprendre avec un truc hyper nouveau,
moitié-ivre de fin de soirée ratée, mais dont le fond ne donne pas forcément envie hypra rock n’roll, hypra cool. [RC]
d'y revenir. [VL] www.davidbowie.com
www.jester-records.com/ulver