Page 19 - LUX in NOCTE n°1
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Et une fois qu'ils se sont trouvés et tirés mutuellement de leur isolement, ils sont prêts à tout
           pour rester ensemble, y compris les choses les plus folles et les plus irrationnelles : Sun-Houa affronte
           son mari violent et Tae-Suk va jusqu'à apprendre à devenir invisible. Bel exemple d'amour à l'épreuve
           de tout, y compris de l'irrationnel. Par ce détachement de la société, ils deviennent des entités libérées,
           endossant ainsi une aura de mélancolie parfaitement maîtrisée, et l'ont  retrouvé à travers eux les
           poètes  maudits  et  les  incompris  de  la  société  qui  nourrissent  l'art  depuis  le  romantisme  du  dix-
           neuvième siècle au moins.
                   Le  but  ultime  de  nos  deux  héros  est  très  banalement  de  trouver  une  forme  de  bonheur,
           d'équilibre, comme c'est le cas pour la majorité des êtres humains. C'est un chemin difficile, où il
           s'agit plus d'apprendre à travailler sur soi-même qu'à faire changer les autres. Afin de pouvoir vivre
           avec Sun-Houa, Tae-Suk apprend, à travers des exercices physiques, à maîtriser son corps au point
           de devenir « invisible » à volonté. Sun-Houa, elle, apprend à surmonter sa peur afin que son mari ne
           soit plus jamais une barrière entre elle et Tae-Suk. La violence des épreuves et de la vie en général,   18
           les emmène à travailler sur eux-mêmes ce qui leur permet alors d'atteindre le bonheur, et ainsi, le
           happy-end tant espéré, même s'il revêt une forme étrange.

                   La  représentation  visuelle  est  d'autant  plus  importante  que  les  deux  personnages  ne
           s’expriment pour ainsi dire jamais oralement. C'est un choix de mise en scène tacite de Kim Ki-Duk
           qui explique lors d'une interview que le scénario contient toujours des dialogues qu'il réduit lui-même
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           au cours du tournage . Il veut aller à l'essentiel. Ainsi tout au long du film, Tae-Suk ne prend jamais
           la parole et Sun-Houa n'articule des paroles intelligibles que dans les dernière minutes du film. Ce
           silence des personnages principaux permet de souligner l'inanité et le vide des paroles des autres
           personnages. Le mari qui parle pour ne rien dire ou pour mentir, les policiers qui ne comprennent
           absolument rien à la relation des deux héros, ou encore, l'impuissance du gardien de prison à saisir
           toute la force de Tae-Suk. De plus, ce procédé accentue l'importance des sons et des paroles que
           produisent les personnages, ou plutôt Sun-Houa dans ce cas-là. Au début du film, sans avoir encore
           prononcé une parole ou échangé quoi que ce soit d'autre avec Tae-Suk, si ce n'est un regard, elle
           pousse un hurlement déchirant de bête blessée, pour exprimer toutes ses frustrations, ses peurs et ses
           peines.  Enfin,  son  silence  pendant  tout  le  film  permet  de  donner  une  consistance  proche  du
           merveilleux à son très onirique « Je t’aime » qui sont les premiers mots qu'elle et Tae-Suk échangent,
           et ce, seulement dans les dernières minutes du film.  Le hurlement rappelle la violence à laquelle elle
           a dû faire face, le « Je t’aime » à l'amour profond qu'elle ressent pour Tae-Suk, et dans l'opposition
           des deux, le chemin qu'elle a fait entre le début du film et la fin. Le silence des personnages permet
           aussi d'insister sur leurs gestes et leurs regards qui sont alors leurs seuls contacts. Il met en exergue
           toute la violence et le lyrisme dont ils peuvent être porteurs. Ainsi le silence quasi ininterrompu entre
           les deux personnages principaux nous permet de prendre conscience de l'intimité si vite développée
           entre eux : ils n'ont pas besoin de parler pour se comprendre.
                   Le spectateur doit donc se soumettre et être attentifs à tous les détails visuels. Kim Ki-duk
           travaille beaucoup son-images et l'on sait que ces choix formels sont d'autant moins anodins quand
           on connaît le passé de peintre du réalisateur. Il pense clairement ses plans comme des tableaux et il
           ressort de l'ensemble comme de chaque, une grande beauté. Dans Locataires, il joue notamment sur

           les sur-cadrages et la fragmentation, qui soulignent le sentiment d'enfermement des deux personnages
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           principaux ou leur état intérieur.


             Hubert Niogret, Les renaissances du cinéma coréen, Les Films du Tamarin, France, 2006
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