Page 32 - MOBILITES MAGAZINE N°14
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                 Politiques & institutions
   « Comparaison n’est pas raison ». Asséner des chiffres montrant inlassablement que le coût du kilomètre-train des services ferroviaires régionaux serait de 30% moins cher en Allemagne qu’en France, en ajoutant que le parcours annuel moyen des matériels roulants régionaux atteint 200 000 km outre-Rhin contre 110 000 en France ne suffit pas à expliquer les différences entre les deux pays. ils ne sont pas automatiquement liés au degré d’ouverture du marché ferroviaire à la concurrence(1). Pourtant acteurs du fer- roviaire et commentateurs ne se privent pas de cette facilité comparative. Tant est aujourd’hui « politiquement correct » de mettre en avant nos voisins allemands en matière de trains régionaux. Quitte, au passage, à faire fi des profondes dif- férences de réalités ferroviaires entre les deux pays.
Aussi bien celles des structures des ré- seaux et des systèmes ferroviaires, que de leurs encadrements institutionnels avec leurs spécificités respectives. Puisqu’en Allemagne la politique d’offre et de développement des transports pu- blics est très incitative à tous les niveaux, et que les centres de décisions - et de fi- nancements - fédéraux et régionaux, quoique très séparés, entretiennent pour- tant des rapports serrés.
Des différences d’autant plus renforcées qu’on se trouve en face de réseaux ferrés nationaux très différents, aussi bien dans leurs consistances que dans leurs struc- tures respectives. Mais aussi dans leur gestion des services régionaux, dans la mesure où les länder allemands ont bien plus de moyens financiers que les régions françaises, même agrandies. Et si, glo- balement, la différence d’importance entre les deux réseaux n’est pas consi- dérable (environ 30 000 km de lignes en France et près de 41 000 outre-Rhin, le maillage ferroviaire est cependant bien plus serré en Allemagne(3), et qu’il cor- respond à une structure géographique
bien moins centralisée - donc moins ra- diale - qu’en France en raison de l’existence d’une importante trame de très grandes agglomérations « millionnaires » bien reliées entre elles. Cette situation a no- tamment pour conséquence une très grande différence d’utilisation des services ferroviaires qui impacte fortement sur la structure de l’offre et sur le fonctionne- ment du réseau. En Allemagne, les trafics ferroviaires à courte distance, qu’ils soient de banlieue, périurbains ou régionaux, représentent la moitié des trafics totaux exprimés en voyageurs.km. Alors que ces trafics ne totalisent pas plus du quart de l’ensemble en France, résultats des TER et du Transilien cumulés.
Les taux de ponctualité des trains régio- naux, également mis en avant dans la comparaison, sont également affectés en raison des différences de modes de calculs entre les deux exploitants histo- riques(2).
Un processus spécifique
Une autre profonde différence entre les deux réseaux, cette fois intimement liée au processus d’ouverture à la concurrence, réside dans le rôle considérable que jouent en Allemagne les dizaines d’en- treprises ferroviaires locales et régionales indépendantes de la DB qui, avec leurs 7400 km de lignes, totalisent pas moins de 18% de la longueur du réseau ferré(4). Elles sont propriétés des länder et des intercommunalités, voire d’importants groupements liés d’origine à des zones industrielles ou portuaires. Au fil du temps et de la réforme ferroviaire de 1995, elles sont allées au-delà de leur seul marché fret en devenant opérateurs en trafics voyageurs local et régional, parfois en s’associant avec des groupes nationaux ou européens comme les Français Trans- dev et Keolis ! Et elles ont souvent été le noyau d’origine de ces « nouveaux en- trants », ces compagnies ferroviaires hors du groupe Deutsche Bahn, qui a égale-
ment créé de nombreuses entreprises locales pour se placer dans le cadre de la réforme. Aujourd’hui ces opérateurs in- dépendants totalisent près du tiers d’un marché ferroviaire régional dont les vo- lumes globaux auront augmenté de 77% en vingt ans. Sans que les trafics régionaux de la Deutsche Bahn n’aient pour autant régressé, puisqu’ils se seront accrus de 43% durant la même période ! L’ampleur de l’offre ferroviaire régionale différencie fortement l’utilisation des ré- seaux ferrés entre nos deux pays. En Al- lemagne, on observe l’effet conjugué de la densité du maillage ferroviaire et de celui du cadencement généralisé de l’offre régionale sur toutes les lignes avec, au minimum, un train par heure et par sens voire à la demi-heure en offre régionale et encore bien plus en offre périurbaine. Un cadencement qui est assorti de la desserte de nombreux points d’arrêts, et qui s’organise sur la base de correspon- dances systématisées à l’échelle du ré- seau. Autant de critères qui aboutissent finalement à une offre régionale consi- dérable. Soit l’équivalent de 641 millions de trains.km(5) à comparer aux 237 millions de trains.km, TER et Transilien cumulés en France. Ainsi, l’offre ferroviaire régionale allemande calculée par habitant est le double de la nôtre !
Une réforme très accompagnée
La réforme ferroviaire allemande de 1995 est aujourd’hui surtout célébrée parce qu’elle a ouvert le marché à la concur- rence. Un angle d’approche réducteur car il fait oublier des « accompagnements » non négligeables. Principalement les considérables investissements de mo- dernisation du réseau ferré réalisés durant les années 1996-2000, parallèlement à la mise en place de la réforme. investis- sements qui ont joué un rôle majeur dans la relance du rail et dans l’augmen- tation de sa part de marché, avec des opérations mises en œuvre dans le cadre
quelques éclaiRcissemenTs suR ceT exemPle allemand
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